Les Émirats au Soudan : la guerre comme entreprise et l’entreprise comme guerre.

Au Soudan, il n’y a pas simplement une « guerre civile » comme on nous le répète : il y a une guerre entretenue par des puissances étrangères. Derrière les massacres perpétrés par les Forces de Soutien Rapide, il y a les Émirats Arabes Unis, qui arment, payent et commanditent.

Depuis Numéro Zéro

"Il est devenu banal d’entendre que le Soudan est en proie à une « guerre civile ». Ce terme commode ne dit rien de ce qui se joue réellement : un laboratoire où se perfectionne la privatisation intégrale de la guerre, sous-traitée à des mercenaires, alimentée par des cargaisons d’armes, et adossée à l’exploitation sans limites des ressources naturelles. Derrière les Forces de soutien rapide (FSR), auteurs de massacres innombrables, se dessine la silhouette d’un bailleur empressé : les Émirats arabes unis."

Armer un groupe paramilitaire qui incendie villages et marchés, recruter des vétérans colombiens pour les transformer en chair à canon, détourner des récoltes pour fournir les supermarchés du Golfe, exporter l’or vers Dubaï par les circuits opaques du commerce international : telle est la contribution émiratie à la destruction du Soudan[1]. La guerre, ici, n’est pas un accident de l’histoire, mais une des formes de l’économie.

L’armement comme continuité du commerce

L’embargo onusien sur le Darfour n’est qu’un alibi moral, dont le contournement quasi-systématique est de notoriété publique. Des cargaisons d’armes arrivent, transitent, sont distribuées, et l’on fait mine de découvrir qu’elles se retrouvent entre les mains des FSR. Les Émirats ont perfectionné cette hypocrisie : ils nient toute implication mais Amnesty International a documenté la présence de munitions et systèmes d’armes modernes, arrivés via des circuits émiratis[2].

Les mercenaires comme figure de l’homme jetable

Que des centaines d’ex-militaires colombiens soient enrôlés par des sociétés-écrans émiraties n’étonnera que ceux qui croient encore à la fiction de la souveraineté nationale. Ces hommes, payés à la tâche, envoyés à El-Fasher pour s’y faire tuer dans une guerre qui ne les concerne pas, ne sont que le prolongement de cette économie mondiale qui fait circuler les corps comme les marchandises. Plusieurs enquêtes ont montré comment ces vétérans, trompés par des contrats mensongers, se sont retrouvés sur la ligne de front au Darfour[3].

La terre et l’or : ressources d’une guerre rentable

Il faut rappeler que si Abou Dhabi arme et entraîne les FSR, ce n’est pas par excès d’altruisme. C’est parce que l’agriculture soudanaise, accaparée par des concessions foncières, doit nourrir le Golfe ; parce que l’or du Darfour, extrait dans des conditions désastreuses, doit remplir les coffres de Dubaï[4].

Selon Sudfa Media et Ritimo, ces investissements agricoles se traduisent par l’expulsion de paysans, la mainmise sur des terres fertiles et une dépendance accrue des populations locales à l’aide humanitaire[5 et 6]. L’or, quant à lui, sort clandestinement du pays pour rejoindre les circuits de Dubaï, comme l’a montré Global Witness dès 2021[7].

On a longtemps parlé de « néocolonialisme ». C’est aujourd’hui trop faible : il ne s’agit plus de domination d’État à État, mais d’une extraction directe, planifiée par des consortiums où l’État émirati se confond avec ses propres conglomérats.

L’économie de la mort

La guerre au Soudan est probablement un scandale permanent pour qui voudrait encore croire qu’il existe une séparation entre la violence et l’économie. Mais armes, mercenaires, récoltes, or : tout circule dans les mêmes chaînes logistiques. Les morts sont aussi une variable d’ajustement de ce système.

Les camps de déplacés, les famines organisées, les épidémies qui suivront : tout cela n’est qu’un dommage collatéral d’une guerre gérée comme une entreprise. Comme le rappelle l’association Survie, « la guerre est aujourd’hui administrée comme un marché, où l’on optimise les coûts humains comme des pertes comptables »[8].

Le Soudan comme miroir

Ce qui se joue au Darfour n’est pas seulement la mise en pièces d’un pays déjà exsangue, mais la démonstration de ce qu’est la guerre dans l’époque : une activité parmi d’autres, intégrée au commerce mondial, rationalisée par la logistique, et parfois recouverte par un discours humanitaire. Les Émirats ne sont pas une exception, mais une des avant-gardes cyniques d’un ordre où la guerre est gérée comme un parc d’attractions morbide : rentable, modulable, et sans autre fin que sa propre perpétuation.

La question est ici comment arriver à rompre avec cette organisation qui fait de chaque conflit l’occasion d’un nouveau marché. Sinon Le Soudan ne sera qu’un des nombreux préludes annonciateurs de la généralisation de la guerre permanente.

ci-dessus Hemedti, le chef des FSR serrant la paluche au frère du président des EAU, Hamdan bin Zayed bin Sultan Al Nahyan en mai 2022

1. RFI, « Soudan : des mercenaires colombiens aident les paramilitaires à assiéger El-Fasher », août 2025
Lien : https://www.rfi.fr/fr/afrique/20250805-soudan-des-mercenaires-colombiens-aident-les-paramilitaires-%C3%A0-assi%C3%A9ger-el-fasher-au-darfour

2. Amnesty International, « Soudan : des armes venues de l’étranger alimentent le conflit », rapport 2024
Lien :https://www.amnesty.org/fr/wp-content/uploads/sites/8/2021/06/afr010051997fr.pdf

3. Jeune Afrique, « Comment des mercenaires colombiens se retrouvent au Darfour », août 2025
Lien : https://www.jeuneafrique.com/1358575/politique/soudan-comment-des-mercenaires-colombiens-se-retrouvent-au-darfour/

4. Reporterre, « L’accaparement des terres soudanaises par les Émirats », 2022
Lien :https://reporterre.net/Derriere-la-guerre-au-Soudan-les-Emirats-convoitent-l-or-et-les-terres-agricoles

5. Sudfa Media, « Le Soudan, grenier des Émirats », 2025
Lien : https://www.sudfa.org/le-soudan-grenier-des-emirats/

6. Ritimo, « Accaparements fonciers en Afrique », 2024
Lien : https://www.ritimo.org/Accaparements-fonciers-en-Afrique

7. Global Witness, « Le rôle de Dubaï dans le commerce illicite de l’or soudanais », 2021
Lien : https://www.globalwitness.org/fr/campaigns/conflict-and-human-rights/sudan-gold/

8. Survie, « Guerre et néocolonialisme économique », 2024
Lien : https://survie.org/publications/brochures/article/guerre-et-neocolonialisme-economique

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