Source : SansNom
Fenouillet, nuit du 25 au 26 juillet : incendie de quatre camions-toupie du cimentier Lafarge
Que vaut la vie d’un conducteur de 28 ans, issu de la « communauté des gens du voyage » comme on dit pudiquement dans la presse, et qui tente avec dignité d’échapper à un contrôle policier au volant de son véhicule ? Elle vaut cinq balles tirées par les gendarmes, dont l’une ira traverser l’appuie-tête puis exploser le crâne du jeune gitan. C’est arrivé dans la banlieue nord de Toulouse jeudi 25 juillet, peu après 22h, à Fenouillet. Il s’appelait Maïky et venait du camp de Ginestous, situé à deux pas de là.
Avant d’être déclaré décédé dans la nuit, près de 200 personnes s’étaient immédiatement rendues devant l’hôpital de Purpan, notamment pour savoir si Maïky avait une chance de s’en sortir, et pour attendre la sortie de sa compagne et de leur môme âgée de quelques mois, qui se trouvaient à ses côtés dans la voiture. Non contents d’avoir commis un assassinat de plus, les uniformes réunis en nombre devant l’hosto ont alors tiré des gaz lacrymos sur les proches, pour tenter de contenir la colère montante une fois l’issue fatale connue. Sauf que la vengeance est parfois aussi un plat qui se déguste bien chaud, et que les cibles ne manquent pas : dès la nuit de jeudi à vendredi 26 juillet, c’est le bétonneur Lafarge, dont le site se trouve proche du camp de Ginestous, qui a été attaqué : quatre camions-toupie ont été incendiés en quelques minutes.
Toute la journée du lendemain, la petite foule devant l’hôpital n’a pas lâché l’affaire, en exigeant qu’on leur rende le corps de Maïky afin de pouvoir le veiller au plus tôt. Cela fut fait après une autopsie limpide comme un tir de pandore en pleine tête, tandis qu’une reconstitution de l’exécution était effectuée avec les deux gendarmes-tireurs, avant qu’ils ne sortent de garde-à-vue sans saisine d’un juge d’instruction par le parquet, vu que cela aurait eu l’inconvénient de donner aux proches un accès au dossier. Des proches qui, espérait le procureur, finiraient par s’apaiser en vue des obsèques prévues pour ce lundi 29 juillet.
« Voilà une affaire rondement menée », a-t-il même peut-être pensé au fond de son fauteuil, avant d’aller regagner ses pénates pour mater les résultats olympiques du jour, comme le tir à la carabine par équipe mixte. Le lendemain matin, c’est pourtant face au titre laconique d’un grand quotidien régional qu’il a dû faire face : « Refus d’obtempérer mortel : incendies et violences urbaines à Toulouse, des millions d’euros de dégâts ». Car les camions de Lafarge n’étaient qu’un avant-goût d’une vengeance qui n’avait aucune raison de s’épuiser si vite.
Fenouillet, nuit du 26 au 27 juillet : incendie des locaux du fabriquant de composants électroniques CSI (groupe Cimulec)
La nuit du 26 au samedi 27 juillet, alors que la circulation des TGV était encore largement perturbée à travers une bonne partie de l’hexagone, un patron et ses 60 employés n’avaient plus que leurs yeux pour pleurer. Peu après minuit, les 1800 m² de l’entrepôt de CSI Sud-Ouest sont en effet devenus un vaste brasier, ce qui n’est pas rien quand on sait que l’activité de cette entreprise était plus néfaste qu’autre chose : la production de composants électroniques pour le compte du groupe Cimulec, qui se présente comme « un des leaders européens de la fabrication de circuits imprimés de très forte fiabilité pour environnements sévères (défense, spatial, aéronautique, nucléaire, ferroviaire,…) ».
Et vu que que cette charmante boîte se trouvait précisément à Fenouillet, soit dans la zone de l’assassinat policier de Maïky et non loin du camp de Ginestous, môssieur le procureur n’a pas hésité un instant à confier l’enquête à la Division de la criminalité organisée et spécialisée (DCOS). D’autant plus que les pompiers ont eu fort à faire pour tenter d’éteindre l’incendie, puisqu’une petite centaine de personnes au visage masqué les attendait de pied ferme derrière des barricades, et que les flics venus en renfort ont alors essuyé caillassages en règle et tirs de mortier. Arrivés au bout de leur peine, les soldats du feu ont constaté que l’incendie était désormais « généralisé », et les dégâts contre l’entreprise CSI Sud-Ouest sont à présent estimés à plusieurs millions d’euros.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin, une fois que le premier réflexe n’est pas de réclamer justice auprès de ceux-là mêmes qui sont responsables de la mort d’un proche, mais de laisser exploser toute sa rage contre un monde qui génère gendarmes et procureurs ? Juste à côté de feue l’entreprise CSI Sud-Ouest se trouve ainsi un local de Toulouse Métropole, qui a donc logiquement connu le même destin : un bâtiment d’une centaine de mètres carrés de l’agglomération et huit de ses véhicules utilitaires ont été dévorés par les flammes au cours de la même nuit. De quoi susciter plus d’émotion chez le maire de Toulouse (et président de la Métropole) que suite aux cinq balles gendarmesques tirées contre le conducteur réfractaire, avec un Jean-Luc Moudenc demandant aussitôt « à l’État de prendre toutes les mesures qui s’imposent pour retrouver les responsables et punir avec sévérité ces agissements. »
Trois jours après la mort de Maïky, personne ne peut évidemment parler à la place des inconnus qui ont bouté le feu à Fenouillet. Mais chacun.e peut tout de même en tirer quelque chose : face aux assassinats policiers, un monde entier reste à démolir, et il est souvent plus proche qu’on ne le pense…
[Synthèse de la presse régionale (La Dépêche & France3), 29 juillet 2024]
A Fenouillet (Haute-Garonne), suite à l’assassinat de Maïky par des gendarmes pour un « refus d’obtempérer », plusieurs intérêts économiques et administratifs ont flambé les deux nuits du 25 et du 26 juillet autour du camp de Ginestous, où habitait le jeune gitan. Parmi ces derniers, on compte des camions-toupie du bétonneur Lafarge, des véhicules et un bâtiment de Toulouse-Métropole, mais aussi une entreprise jusque là trop peu connue : CSI Sud-Ouest, spécialisée dans la fabrication de circuits imprimés pour l’armée, l’aéronautique ou l’industrie nucléaire.
Une semaine plus tard, le directeur général de CSI qui n’a pas oublié sa particule dans la poche, Éric de Ponthaud, vient de livrer la bonne nouvelle du jour : « 2000 m² se sont embrasés. La structure est toujours debout, mais tout est noir à l’intérieur. Un seul bâtiment a été sauvé, mais ne représente qu’un quart des processus de l’usine. « Les machines qui ont disparu ont une valeur supérieure à 10 millions d’euros », détaille le directeur. S’ajouteront aussi les coûts de démantèlements, reconstructions, la perte financière de l’arrêt d’activité. Des sommes colossales. » Il mise sur un chantier de reconstruction qui va prendre au moins 18 mois, pendant lesquels toutes les industries de mort qu’il se faisait un plaisir d’alimenter ne recevront plus leurs précieux composants made in Toulouse. Un « refus d’obtempérer » aux intérêts supérieurs de la nation, mais à l’insu de son plein gré en quelque sorte…
[La Dépêche du Midi, 2 août 2024 (extrait)]