Source : Squat.net
Le mardi 29 octobre au matin, la police nationale expulse les habitant.e.s (41 personnes dont une quinzaine d’enfants) du squat du 15 rond-point de l’Orne à Caen. Heureusement, ces nombreuses familles sont prévenues par des soutiens qui ont vu le convoi se préparer à partir. Elles avaient organisé la semaine précédente, dans le quartier qu’elles habitaient, un goûter avec les quelques voisin.e.s et soutiens venu.e.s pour évoquer leur situation et le danger d’expulsion qui pesait sur elles. Elles ont rédigé à cette occasion un tract. Il a été choisi également d’organiser un rassemblement à 18h s’il y avait une expulsion du squat. Celui-ci a eu lieu et c’est de là que part cette semaine de mobilisation.
On apprend que France Infoa pris connaissance le 29 octobre d’une circulaire envoyée par le ministre de la sécurité Bruno Retailleau aux préfets pour une « reprise de contrôle » de l’immigration. Il leur demande une « complète mobilisation » pour « des résultats », et leur ordonne de « mener à son terme l’examen des dossiers qui n’avaient pu aboutir à une décision d’éloignement ou une mesure d’expulsion » avant l’entrée en vigueur de la loi immigration de janvier dernier. Il propose également une série de mesures destinées à « amplifier » et « systématiser » les mesures d’éloignement visant les étrangers susceptibles de présenter des menaces à l’ordre public en France. Il souhaite également « chaque mois des réponses exhaustives » sur l’activité de police des étrangers de chaque préfecture. Dans ce contexte, il est clair que la pression à venir sur les endroits où se trouvent les personnes visées par ces discours sera plus forte et qu’il faudra résister davantage. Pour rappel, les mesures d’expulsions sont souvent difficiles à mettre en œuvre et cette logique d’exclusion se traduit souvent par de l’enfermement (la prochaine loi prévoit d’ailleurs 3000 nouvelles places en Centres de rétention dans deux ans) ou d’une manière générale à rendre la vie impossible aux personnes qui ne sont pas dans la bonne situation administrative, notamment en les expulsant des endroits où ils et elles vivent. Il est possible que les préfectures et leurs fonctionnaires, en bon.ne.s bureaucrates, se conforment à ces demandes dans une logique d’efficacité sans se considérer responsables de leurs conséquences. À nous de leur faire face.
Mardi 29 – Lors de ce rassemblement devant le squat expulsé, un compte rendu est fait de l’expulsion. La plupart des personnes vivant dans le squat ont pu le quitter avant l’arrivée du convoi, prévenues par des personnes qui avaient vu le convoi se préparer. Une personne présente a été embarquée et a reçue une Obligation de Quitter le Territoire Français (un statut administratif qui l’expose davantage aux violences policières et carcérales).
Ensuite, une proposition est faite d’aller occuper un bâtiment public pour demander des solutions d’hébergement pour les personnes expulsées parmi nous. Plusieurs idées sont évoquées : la bibliothèque municipale car il s’agit d’un bâtiment public qui demeure vide le soir, chauffé et confortable pour y passer la nuit, ou un lieu d’hébergement d’urgence non loin, ou encore les bureaux du bailleur propriétaire du bâtiment squatté (Inolya)… Un lieu soutien propose également son aide pour nous héberger au moins une nuit.
Quelque peu désorganisé.e.s, on finit par se diriger vers les Rives de l’Orne (un grand centre commercial type « Halles » non loin) sous l’impulsion de personnes sans solutions qui proposent de tenir tête aux forces de l’ordre tant qu’elles n’en ont pas. S’en suit une occupation contrôlée par la sécurité jusque dans les possibilités de disposer des toilettes, de recevoir des dons. Beaucoup de commerçant.e.s paniquent pour leurs commerces même s’ils et elles disent comprendre nos problèmes. Un policier arrive pour négocier, en demandant le nombre de personnes sans solutions et en appelant la préfecture pour en trouver. On entend que les flics seraient en sous-effectif et ne tenteraient pas de nous expulser. Des discussions se font avec quelques personnes de la sécurité ou proches de commerçant.e.s. La dimension morale de notre action est reconnue par certain.e.s, ce qui nous pousse à remettre en cause la propriété privée, le capitalisme… Étant donné qu’on ne peut pas aménager les lieux comme nous le voulons sous le contrôle de membres de la sécurité sur les dents, et qu’on nous propose à nouveau de dormir tranquille dans un lieu solidaire, on finit par choisir de quitter l’occupation vers 22h30 et d’improviser une manifestation sauvage dans la rue. On choisit de se retrouver à 17h le lendemain devant le squat expulsé.
Mercredi 30 – Rebelote le lendemain. Cette fois ci, après discussions, on choisit d’aller aux bureaux d’Inolya, le propriétaire du squat expulsé, sûr.e.s qu’ils et elles possèdent des logements vides dans leurs dossiers. On s’y dirige trois minutes avant la fermeture et on trouve derrière les portes coulissantes des portes et des ascenseurs nécessitant un badge pour être ouvertes. On reste sur place un moment sans trop savoir quoi faire. La sécurité vient nous voir mais on ne cède pas. Quatre camions de police arrivent et commencent à se préparer pour nous dégager. Quelques personnes qui risquent davantage s’éloignent mais nous restons en demandant des solutions. Un cadre de la sécurité vient nous aboyer dessus pour chercher des représentant.e.s ou un.e élu.e parmi nous afin de trouver des solutions, tout en refusant de nous accueillir collectivement. Nous lui disons que nous n’avons pas de chefs, mais parmi les personnes présentes aucune personne directement concernée par l’expulsion n’est en mesure de lui demander directement une solution.
Une élue s’annonce parmi nous et se propose pour discuter (on ne la reverra pas par la suite). Elle rentre dans les bâtiments qu’on ferme derrière nous, alors qu’une équipe de BAC arrive, pousse violemment l’une d’entre nous et reçoit notre mépris en échange. On apprendra plus tard que ces négociations avec l’élue présente ont mené à : « envoyez un mail à la mairie ».
Dans la foulée, on choisit d’aller occuper la bibliothèque municipale qui ferme dans quelques minutes. On parvient à y entrer, accueilli.e.s par des agent.e.s de sécurité qui nous demandent de partir. On distribue des tracts aux autres agent.e.s sur place qui nous demandent également de partir, alors que des livres contre les frontières sont disposés à l’entrée… Les quatre camions de police et l’équipe de BAC nous rejoignent rapidement et nous encerclent. Un silence se fait, on sait qu’on va se faire expulser sans être en mesure de riposter directement et on renvoie aux agent.e.s de police leur irresponsabilité à suivre les pires ordres qui font leur profession : mettre des gens à la rue (y compris des enfants). On est renvoyé.e.s violemment dehors alors qu’un bacqueux masqué nous donne des coups ciblés en seconde ligne. Un pantalon est déchiré, des lunettes sont abimées et quelqu’un saigne suite à une chute parmi nous. Une fois dehors, on enrage devant leur mine satisfaite et on repart déterminé.e.s pour nous rassembler et organiser la suite.
On organise donc une assemblée dans la foulée. Deux problèmes apparaissent ; à court terme trouver des solutions pour les personnes mises à la rue suite à l’expulsion du 15 ; à moyen terme créer un rapport de force avec les administrations qui gèrent ces questions. À chacun.e de s’organiser à sa manière pour répondre à ces deux problèmes. On choisit de raconter dans un tract (voir le tract ci-dessous) les dernières mobilisations pour mêler davantage de personnes à celles-ci et on rappelle à un rassemblement à 17h devant le squat expulsé.
Jeudi 31 – Au moment de ce rassemblement, on est moins que la veille (une cinquantaine alors qu’on était environ 70 personnes les derniers jours) et on choisit d’aller tracter en centre-ville jusqu’à la mairie en prenant la forme d’une manifestation (sauvage de fait). Une fois arrivé.e.s, quasiment aucune lumière allumée à la mairie, on se décide à ne pas poursuivre et on appelle à se réunir le lendemain à 11 heures et à un nouveau rassemblement à 15 heures devant le squat expulsé.
On prend connaissance d’un« geste de colère contre le bailleur social Inolya ». Contre les expulsions de Caen et de Lisieux parmi d’autres par le passé, et en écho à nos mobilisations réprimées par la police, « dans la nuit de mercredi à jeudi, un véhicule utilitaire sérigraphié d’Inolya a été tagué STOP EXPULSIONS et ses vitres ont été pétées » en solidarité « avec toutes les personnes expulsées », « les squatteurs et les squatteuses » et « celles et ceux qui subissent la répression ».
Vendredi 1er novembre – L’assemblée générale de 11 heures nous sert pour passer des informations sur les prochaines actions. On apprend qu’une solution à court terme est envisagée et on commence à discuter des personnes qui vont en profiter. Cela crée quelques tensions entre des personnes concernées par le mal logement. On choisit collectivement que cette solution reviendra en priorité aux personnes expulsées du 15 rond-point de l’Orne, ensuite aux personnes qui se sont mobilisées, et aux personnes présentes si c’est possible.
À 15 heures, on donne l’information qu’on doit aller à l’accueil de jour pour y rester la nuit. On sort les banderoles pour partir en manif sauvage et on tracte sur le chemin comme la veille. On chante des slogans dans des langues différentes : « Pas de maison sans personne et personne sans maison », « Solidarity forever, solidarity forever, we should always fight for our rights », « Pierre par pierre, et mur par mur, nous détruirons les centres de rétention », « Des logements il y en a, dans les dossiers d’Inolya ! ». On arrive à l’accueil de jour et on parvient à rentrer à l’intérieur et à discuter avec les travailleur.euse.s sociales qui s’y trouvent, agacé.e.s par notre présence même lorsqu’on essaie de leur expliquer ce qu’il se passe. Elles nous demandent de partir en prétextant la peur qu’on pourrait inspirer aux familles qui quittent l’accueil de jour, bien qu’on ne soit pas menaçant.e.s et qu’on aurait pu être les mêmes familles qui se trouvent dans cet accueil de jour.
Au bout d’un moment, une fois que les travailleur.euse.s sociales ont fini leur travail et que les familles sont parties, c’est la directrice de l’accueil qui se présente à nous. Bien que nous montrant une sympathie de principe, elle nous dit qu’elle sera « bien obligée » d’appeler la police pour nous expulser. Celle-ci arrive au bout d’un certain temps, quatre camions et une équipe de BAC. De notre côté, on mange tranquillement des choses récupérées et amenées par certain.e.s d’entre nous et on se rencontre sans trop de nervosité. Après quelques discussions avec la directrice, les policier.e.s finissent par nous expulser à nouveau, selon les dires de l’une d’elles « en prenant en compte le fait qu’il y a des enfants ». On les invective en leur rappelant à leur boulot de merde : « vous trouvez ça normal d’expulser des enfants à nouveau à la rue ? », l’une d’elle répond « on n’a pas d’autre choix que de suivre les ordres », ce qui nous excède d’autant plus. On leur rappelle qu’ils et elles ont toujours le choix, que c’est leur irresponsabilité qui parle. Ils finissent par repartir la queue entre les jambes ou la bave aux lèvres suivant leurs caractères, toujours domestiqué.e.s par les mêmes ordres, avec au bout de la laisse l’Ordre moral du ministre Retailleau, qui implique l’expulsion et l’enfermement de milliers de personnes par tous les moyens possibles.
Un reportage de France 3 Régions sur les squats expulsés (à Lisieux et à Caen) avant la trêve hivernale et les manquements de l’État dans l’accueil des personnes à la rue sort le 2 novembre. Il constate que « les services de l’État se trouvent démunis », sans rappeler que c’est le même État soi disant démuni qui forme, paye et équipe les polices qui expulsent les squats… Il rappelle que la trentaine de personnes expulsées à Lisieux ont trouvé « un nouveau toit d’accueil temporaire dans une maison de retraite désaffectée à Cambremer » (un squat également) et justifie l’absence de solution proposée par la préfecture du Calvados sans rappeler que des milliers de logements demeurent vides : « Quand bien même elle le voudrait, elle ne le pourrait pas, car l’hébergement d’urgence est actuellement saturé dans le département. » Mais on apprend surtout que selon leurs sources, « les services de l’Etat dans le département cherchent des appuis politiques pour obtenir en haut lieu une issue à cette situation intenable ». Bizarre que cette situation apparaisse « intenable » ici plutôt qu’ailleurs, et maintenant plutôt qu’hier, étant donné que la politique d’harcèlement des personnes qui relèvent de l’« immigration » s’organise depuis des dizaines d’années sur tout le territoire. On se demande si ce n’est pas tant le rapport de force instauré par les mobilisations et les ouvertures de squats qui répondent aux expulsions qu’évoque « cette situation intenable », davantage que les gens à la rue sans solutions.
Samedi 2 novembre : On se retrouve dans l’après midi pour nous diriger en groupe sur le lieu, occupé depuis jeudi, qui va être officialisé. On se distribue les rôles (garder la porte, mettre une banderole, mettre les documents qui prouvent légalement qu’il devrait y avoir une procédure pour le squat). Parmi nous, beaucoup de personnes concernées par le mal logement. On arrive au 3-7 rue de Trouville, une ancienne friperie industrielle financée par la mairie pour favoriser l’insertion dans l’emploi, qui a déménagé un an et demi plus tôt, de 2500 mètres carrés. Ce nouveau squat borde le rond-point de la Demi-Lune, alors qu’un autre grand squat (ancien EHPAD) de 150 personnes se trouve d’un autre côté de ce rond-point et qu’un hébergement d’urgence les avoisine. Un peu plus loin, des chantiers (d’Inolya notamment) se multiplient pour transformer le territoire.
La police finit par arriver dans l’après midi, arrache les preuves d’occupation, tente de forcer des portes sans succès et reste un long moment en discutant avec un ami du propriétaire. Au bout d’une heure ou deux, la convoi (le même que le restant de la semaine) de quatre camions quitte les lieux, guidée par la tête déçue de leur cheffe. Cheh. On peut mieux respirer et on s’organise pour distribuer les espaces. Il faudra s’y reprendre plusieurs fois pour organiser la discussion (avec traductions, ordre du jour, tours de paroles…) afin que les espaces soient distribués sans créer de la frustration, mais une fois que c’est fait tout va mieux.
Les quelques soirs qui suivent, des soutiens dorment sur place pour barricader des portes et un rassemblement est appelé le lendemain à 6 heures, et ce jusqu’au passage d’huissier mercredi. On sent que ce squat, issu d’une mobilisation collective qui agit directement sans attendre que les administrations nous sauvent, propice à de nouvelles rencontres, est différent des autres. On imagine des choses pour les espaces « collectifs » et on en discute par ci par là. La priorité est l’aménagement des pièces des personnes qui doivent y habiter. Ensuite on va peut être plus se concentrer sur les perspectives à donner à ce lieu. Nous allons voir la procédure qui va commencer mais il semble que ces mobilisations ont rempli des objectifs à court terme ; trouver des solutions pour les personnes qui n’en avaient pas parmi nous. À voir maintenant comment va s’entretenir la perspective à long terme : maintenir un rapport de force contre les pouvoirs qui rendent cette situation possible (l’expulsion de squats sans solution de logements pour des personnes, enfants compris). Les mobilisations ont cessé dans la mesure où les personnes qui se sont mobilisées parmi nous ont trouvé des solutions et qu’elles étaient à l’initiative des mobilisations. On s’est ainsi donné les moyens de faire pression pour s’aménager des solutions directement. On peut à présent se poser la question d’un élargissement de ce rapport de force à d’autres personnes et à d’autres villes. L’idée de ce récit de mobilisations était justement de les décrire tout en leur redonnant leurs perspectives pour qu’elles puissent s’inscrire dans le temps, même quand les mobilisations cessent. Car s’organiser entre nous pour obtenir ce que nous voulons, sans attendre que des intermédiaires administratifs nous sauvent, est vital.
NB : Dans la ville de Caen, l’Assemblée Générale de lutte contre toutes les expulsions, un collectif de plus d’une dizaine d’années, ouvre régulièrement des squats pour les personnes à la rue, le plus souvent exclues des dispositifs publics de par leur situation administrative (car relevant de l’« immigration »). Ces squats, qui accueillent plusieurs centaines de personnes, se substituent aux dispositifs publics. Les nombreux besoins qui reposent sur les personnes qui s’organisent dans ce collectif ne sont pas sans créer des tensions, des contradictions et des déceptions mais ce collectif continue à exister et à ouvrir des squats. Bien que ce sont très souvent des personnes qui ne vivent pas dans ces squats qui sont amené.e.s à servir d’intermédiaires aux personnes qui cherchent des solutions, l’idée est d’agir ensemble et que chacun.e soit au coeur des décisions. Cette mobilisation, si elle part d’un rassemblement appelé par l’AG de lutte contre toutes les expulsions, est davantage celle des personnes qui sont mobilisées directement, à commencer par les personnes expulsées. Rappelons qu’à ce jour, seule une structure d’hébergement accueille des personnes sans-papiers sur Caen et que des milliers de logements sont inoccupés dans la ville, quand bien d’autres servent à des activités administratives ou marchandes plus ou moins inutiles.
À lire également :la brochure sur les 10 ans de l’AG de lutte contre toutes les expulsions à Caen et aux alentours.
Tract faisant le récit des événements, ici en PDF.