Et déjà, gauchistes à l’unisson avec les politicards de tout bord appellent à la mobilisation soit ouvertement pour aller déverser sa souveraineté dans les urnes – pour mieux, donc, l’abandonner immédiatement –, soit en jouant les petites mains à la gauche en s’alliant avec elle dans la rue contre le fascisme – comme si la gauche n’avait aucune responsabilité sur le fait qu’on en arrive là. Quelques réflexions sur le choix s’offrant aux électeurs et électrices dociles :
Macron et sa clique : après deux élections qui les ont portés au pouvoir suite au même chantage à faire barrière à l’extrême-droite, on comprend aisément qu’ils soient tentés de rejouer le coup alors qu’ils et elles sont de plus en plus en difficulté. Rarement le tour de vis qu’ils et elles ont mené pendant leur mandat aura été aussi brutal et rapide, changeant concrètement les conditions de vie et les conditions de lutte. Evidemment, le chantage à faire barrage à l’extrême-droite est assez risible tant Macron et sa clique se sont échinés à reprendre la même politique que l’extrême-droite, notamment avec la dernière loi sur l’immigration votée avec les voix du Rassemblement National, ou encore sur la répression néocoloniale à Mayotte et en Kanaky. Il n’est d’ailleurs pas sûr que le RN pourrait faire passer autant de choses en étant au pouvoir, étant donné le rapport de forces entre les différentes composantes du Parlement et les divergences au sein de la bourgeoisie. Macron et sa clique ont en tous cas accéléré pour la France le virage encore plus répressif et exploiteur. Cette dynamique est présente partout dans le monde, avec un capitalisme en crise, mais ce gouvernement aura fait fort en laissant loin derrière lui les illusions sur la démocratie libérale, l’Etat social, le capitalisme à visage humain plus ou moins vert.
Le Rassemblement National : son alliance avec une frange importante des LR (droite) montre aux yeux de tous et toutes pour qui l’extrême-droite roule depuis toujours : le patronat et les classes dirigeantes. Pour enfoncer le clou, Jordan Bardella a très vite annoncé l’abandon de la promesse du RN d’abroger la dernière réforme des retraites et de revenir à la retraite à 60 ans. Aux portes du pouvoir, il n’en est plus question, révélant le fond antisocial très clair du parti. Un parti effectivement comme les autres, faisant de la trahison des promesses un mode de fonctionnement. L’extrême-droite prouve qu’elle est non seulement raciste et réac, mais aussi capitaliste et défend les intérêts d’une fraction de la bourgeoisie. Bref, elle ne changera rien au système, mais continuera le tour de vis tout en détournant les mécontentements sur des boucs-émissaires, appliquant au mieux la devise de tout pouvoir : « diviser pour mieux régner ».
Le nouveau Front populaire : cette alliance des plus comiques vise ni plus ni moins à éviter tout changement et à rester dans la même situation qu’aujourd’hui, notamment la défense d’une vision très conservatrice de la République. La gauche prouve encore une fois qu’elle existe seulement pour canaliser les révoltes et éviter tout changement de société. Il n’y a qu’à entendre les discours et slogans appelant à "sauver la République", cette république née sur les massacres des révolutionnaires de 1848 et de 1871, réactualisée dans les conditions d’un putsch en 1962... Cette union vise à maintenir l’ordre existant, la bonne circulation du capital, la délégation du pouvoir des individus à des élites corrompues, la marche destructrice du progrès technoscientifique. Qui souhaite un réel changement ne peut résolument pas se satisfaire de cette position. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les classes populaires ne votent largement plus à gauche.
Finalement, cette « nouvelle » situation a le mérite de clarifier les choses... Si je mets des guillemets à « nouvelle », c’est bien parce que se rejouent finalement les mêmes dynamiques et les mêmes chantages qu’en 2017 et 2022 au moment des élections présidentielles. Voici deux textes, diffusés dans des manifs et rassemblements lors des entre-deux tours des élections présidentielles, le premier en 2017, le second en 2022 :
Le combat ne se joue pas dans les urnes mais dans la rue !
Depuis quelques mois le cirque électoral étend sa morgue. Médias et politiques s’agitent pour faire de l’élection un enjeu central. On nous exhorte à nous identifier aux préoccupations du pouvoir, d’en accepter la langue de bois et l’agenda. Tout cela révèle ce que les élections n’ont jamais cessées d’être : un moment synonyme de passivité où le goût pour la délégation et la résignation est stimulé. Nous devrions, chagrins ou enthousiastes, confondre nos intérêts avec ceux de l’ordre établi et éprouver de l’empathie pour des représentant -e-s qui se disputent un supplément de part de richesse et de pouvoir. Certain-e-s poussant même le grotesque jusqu’à s’autoproclamer "anti-systèmes" alors qu’ils ou elles en sont simplement les enfants béni-e-s.
Et les élections promettent encore de nous jouer de sales tours. A l’heure où nous écrivons, nous ne connaissons pas les gagnants du premier scrutin, mais on sent déjà poindre un chantage, dans l’hypothèse où le FN se maintiendrait au second tour. Dans ce scénario manichéen, que tous les plébiscitaires, sociologues, expert-e-s nous vendent déjà à grands renforts de publicité et de communication, se dessine l’union sacrée contre l’abjection "fasciste", et cela pour ratisser large de la droite à la gauche en passant par le centre, l’extrême-gauche et pourquoi pas les libertaires. La pression et ses divers effets de sidération se prolongeront même très probablement dans la période de l’entre deux tours.
Pourtant, quel que soit « l’heureux élu », nous savons déjà ce qui, avec quelques différences anecdotiques, nous attend : le renforcement de la précarisation de nos conditions de survie sur tous les fronts, une chasse accrue aux bouc émissaires, aux chômeurs et chômeuses, un accroissement de l’arsenal répressif avec entre autres la construction de prisons ou l’extension de la légitime défense pour les flics qui n’est rien d’autre qu’un permis de tuer.
Accepter les termes et les enjeux électoraux c’est se soumettre à l’état et la marche actuelle de ce monde de domination et d’exploitation. C’est considérer comme crédibles les partenaires qui cogèrent depuis des lustres le système. Il devient en effet de plus en plus évident que dans ce jeu de dupes, le FN, aussi détestable soit-il, sert de variable d’ajustement politique y compris à titre de repoussoir et tous les pouvoirs en jouent. Pourtant, s’il est difficile d’envisager une élection effective de celui-ci aux présidentielles, tant le potentiel de votes contre lui est important, il semble qu’il est bel et bien intégré dans l’imaginaire et le jeu politique. Que ce soit en jouant sur la peur, l’adoption de mesures sécuritaires, de la loi travail, la corruption des gouvernant-e-s entrainent un cynisme ambiant. Tout cela permet logiquement à l’extrême droite de prospérer et pourrait lui permettre sous peu d’accéder au pouvoir.
Si nous ne goûtons pas aux culpabilisants, pas plus que nous ne goûtons d’ailleurs au masochisme politique, qui nous intiment d’offrir nos voix à ceux et celles qui n’ont eu de cesse de faire passer des lois qui nous foutent chaque jour davantage la gueule sous l’eau et de répondre aux délires sécuritaires et racistes du Front, nous avons en revanche de la mémoire. Après l’élection présidentielle de 2002, contre son concurrent de l’époque JM Le Pen, le vote "Chirac" réunissant, en front républicain droite , centre et gauche réunis, a largement gagner l’élection en agitant l’épouvantail "fasciste". Pour autant loin de stopper les politiques qu’il prétendait combattre le pouvoir chiraquien a poursuivi les campagnes de stigmatisation des immigré-e-s et des classes dangereuses, drapé dans la légitimité plébiscitaire que le scrutin lui avait offert. L’élection de Sarkozy à sa suite a renforcé la promotion et le développement d’idées et pratiques réactionnaires contre les luttes, les étrangers, les migrant-e-s, les rebel-le-s, les roms, les « racailles » comme il les nommait.
Puis l’alternance politique à la faveur de la gauche n’aura pas non plus été en reste en matière de pulsion d’ordre et d’autorité. Elle a enfanté l’Etat d’urgence qu’elle a prolongé tranquillement à plusieurs reprises. Installé en mode de gouvernement normal, l’Etat d’urgence risque de se maintenir et même d’être à nouveau acté en juillet 2017. Il devient de fait permanent car les mesures répressives sont désormais solidement enkystées. Invariablement, droite et gauche et dans un style confondant s’évertuent à mettre à bas les tentatives d’opposition contre le Capital et la domination. Le FN ne s’est donc pas renforcé seul ou accidentellement. Il participe non seulement aux appétits sécuritaires, étatistes et d’encadrement de l’ordre existant, mais il est aussi un produit de l’état actuel de ce monde et de celles et ceux qui s’en attribuent la gestion successive. Par conséquent, et quel que soit le scénario électoral de l’entre deux tours et ou les ré-ajustements politiciens de circonstance, la rigueur libérale, économique, politique et sociale se renforcera adossé à un pouvoir d’Etat fort.
Quant aux alternatives, tant dans leurs versions chauvines qu’à la gauche de la gauche, quand ce ne sont pas les deux réunies, il est frappant d’observer comment en Europe et ailleurs, lorsqu’elles elles sont au pouvoir, le rapport de force capitaliste, l’Etat et l’ordre se portent comme des charmes. Les exemples ne manquent pas, en Grèce comme en Espagne, non loin d’ici, Podemos et Syriza s’alignent sur les politiques d’austérité de la troika européenne, vident les squats et emprisonnent leurs opposant-e-s, prolongent la rigueur et l’agonie populaire. Cela ne nous étonne pas. Ce n’est pas un malheureux concours de circonstances mais plutôt l’expression de pouvoirs qui, par essence, ne révolutionnent rien et participent activement à la reproduction du système.
C’est pourquoi, lors de cet entre tours et qu’importe le scénario, nous ne rallieront ni un éventuel front républicain, ni un quelconque cartel de gauche, ni un conglomérat d’organisations réformistes. Nous ne ferons pas non plus les petites mains ni le coup de poing pour d’autres au nom du "Tout sauf Le Pen", mais combattrons le pouvoir d’où qu’il vienne. Il y a des manifestations spontanées qui, quand elles ne courent après aucuns pouvoirs, nous semblent beaucoup plus porteuses d’émancipation. De plus et sans médiations ces dynamiques arrivent à passer à l’offensive. Ainsi, à Caen, en 2007 une manifestation spontanée qui s’était dirigée vers le local UMP, tourna rapidement à l’émeute, exprimant à sa manière un accueil au pouvoir sarkozyste, nouvellement élu. Le lendemain, le local de l’UMP était incendié.
Mais quel que soit les résultats électoraux, nous n’aurons le choix que de lutter, notamment contre cette farce électorale et le monde qui l’a créé. Et nous ne risquons rien a priori à le tenter. Parce que nous ne perdons pas de vue que combattre l’extrême-droite ne peut se faire que simultanément avec la lutte contre l’Etat, l’exploitation capitaliste, le patriarcat, le racisme et toutes leurs nuisances. Parce que nous ne souhaitons nous enfermer dans aucunes catégories, ni aucun pouvoir ni aucune organisation, nous appelons à une assemblée de lutte contre cette mascarade électorale et les mauvais coups qui ne manqueront pas de suivre, et invitons chacun, chacune à y participer.
Assemblée autonome, avril 2017
Le combat se joue dans la rue !
« Il n’est pas de sauveurs suprêmes.
Ni dieu, ni césar, ni tribun »,
Une vielle chanson
Les résultats du premier tour des élections présidentielles, qui n’avaient de toute façon rien de réjouissant à offrir si ce n’est l’oraison funèbre des vieux partis du PS et des Républicains, sont donc tombés. Dans une pâle réédition de 2017, nous devrions déléguer notre pouvoir et marcher au pas derrière le gendre idéal et, surtout, l’Etat et le Capital, ou bien s’abandonner dans les affres du racisme et d’un ‘’anti-système’’ complice au règne de la hiérarchie et de l’argent. Une autre possibilité est d’exprimer sans attendre notre révolte.
Le système électoral et leur démocratie sont des illusions, où on nous exhorte à nous identifier aux préoccupations du pouvoir, d’en accepter la langue de bois et l’agenda. Tout cela révèle ce que les élections n’ont jamais cessé d’être : un moment synonyme de passivité où le goût pour la délégation et la résignation est stimulé. Nous devrions, chagrins ou enthousiastes, confondre nos intérêts avec ceux de l’ordre établi et éprouver de l’empathie pour des représentant-e-s qui se disputent un supplément de part de richesse et de pouvoir.
Avec le maintien du Rassemblement National au second tour, tous les plébiscitaires, sociologues, expert-e-s nous vendent déjà à grands renfort de publicité et de communication, l’union sacrée contre l’abjection "fasciste", et cela pour ratisser large de la droite à la gauche en passant par le centre, l’extrême-gauche et pourquoi pas les libertaires. Accepter les termes et les enjeux électoraux, c’est pourtant se soumettre à l’Etat et la marche actuelle de ce monde de domination et d’exploitation. C’est considérer comme crédibles les partenaires qui cogèrent depuis des lustres le système. Il devient en effet de plus en plus évident que dans ce jeu de dupes, le RN, aussi détestable soit-il, sert de variable d’ajustement politique y compris à titre de repoussoir et tous les pouvoirs en jouent. De notre côté, nous ne perdons pas de vue que combattre l’extrême-droite ne peut se faire que simultanément avec la lutte contre l’Etat, l’exploitation capitaliste, le patriarcat, le racisme et toutes leurs nuisances.
Nous savons déjà, quoi qu’il arrive du scrutin, ce qui nous attend : le renforcement de la précarisation de nos conditions de survie sur tous les fronts, une chasse accrue aux bouc émissaires, aux sans-papiers, aux chômeurs et chômeuses, un accroissement de l’arsenal répressif et une accumulation incessante de ravages industriels annoncés, au premier rang desquels de toutes nouvelles bombes à retardement que sont les centrales nucléaires.
Plutôt que de courir après le moins pire, nous pourrions tout aussi bien nous rappeler que les pouvoirs peuvent se défaire dans la lutte. Il y a des manifestations spontanées qui, quand elles ne courent après aucun pouvoir, nous semblent beaucoup plus porteuses d’émancipation. D’autant plus quand sans médiation ces dynamiques arrivent à passer à l’offensive. Ainsi, à Caen, en 2007, une manifestation spontanée avait accueilli à sa manière le pouvoir sarkozyste, en tournant à l’émeute. Le lendemain, le local de son parti l’UMP était incendié. Nous pourrions très bien imaginer que ce genre d’accueil soit le prélude à une autre manière d’envisager la réponse à nos problèmes, sans s’en remettre à un chef : l’insurrection.
Ni peste, ni choléra, personne !
Des anarchistes