« Pour faire une croisade, il faut des âmes de croisés ». Cette citation extraite d’une de leur vidéo de propagande résume l’idéologie et la mission d’Academia Christiana. Voici une synthèse sur ce groupuscule d’extrême droite radicale présent dans le paysage depuis désormais 10 ans et qui propose chaque année une université d’été avec pour objectif de s’imposer comme l’incontournable institut de formation de la jeunesse nationale-catholique.
Nous relayons l’appel unitaire du samedi 14 octobre à Méral demandant la dissolution du groupe Academia Christiana. Cependant le collectif la Horde souhaite rappeler son attachement à l’autodéfense antifasciste. Les Etats capitalistes ont largement démontré leur porosité avec les idées de l’extrême droite lorsque cela les arrange. Ce n’est pas à l’Etat de nous dire comment combattre l’extrême droite et attendre qu’il s’en occupe à notre place, c’est renoncer à notre force collective. L’antifascisme est l’affaire de toutes et tous.
Academia Christiana cherche à se fondre dans le paysage. Raté.
2013, le tournant réactionnaire
C’est en effet en 2013, année charnière qui verra les réactionnaires et l’extrême droite catholique reprendre pied dans les manifestations et l’action de rue à l’occasion de La Manif pour Tous, qu’est fondée l’association Academia Christiana. Les statuts sont déposés à Paris en février. Elle vise l’« organisation de loisirs, d’activités culturelles et éducatives, d’universités d’été ou de toute autre action visant à promouvoir les valeurs chrétiennes au service notamment de la jeunesse catholique dans l’esprit traditionnel de l’église catholique et romaine ».
Un pot-pourri idéologique
La vision politique d’Academia Christiana est centrée sur un Occident rêvé tel qu’il n’existe plus (si tant est qu’il ait existé) depuis au moins deux siècles avec la sécularisation croissante de nos sociétés. Il en découle une vision décliniste. Avec le recul et la perte de centralité de la religion catholique ce serait toute la société qui perdrait ses repères. La crise civilisationnelle est avant tout une crise religieuse : « c’est parce qu’on a remplacé Dieu par le marché, l’individu, l’immigré, l’Etat, la mondialisation ou la République que notre monde s’effondre . » est-il exposé en 2021 dans une interview au média d’extrême droite Breizh Infos. Une vision anti-moderniste, anti-libérale mais aussi anti-marxiste (la fameuse « troisième voie » chère à l’extrême droite). Pour tenter d’y remédier Academia Christiana revendique puiser à l’« héritage gréco-romain et à l’idéal de la chrétienté ». La formule est ronflante et de manière plus pragmatique le groupuscule est imprégné d’une culture politique d’extrême droite bien plus contemporaine. Pour s’en convaincre il suffit de regarder quelques-un.es des auteurs et autrices de la brochure qui leur tient lieu de pensum : Bréviaire pour une génération dans l’orage. Parmi la quinzaine de signatures (dont trois membres d’Academia Christiana : Victor Aubert, Julien Langella et Arnaud Danjou, de son vrai nom Arno Guibert investi un temps dans la Nouvelle Librairie ) on retrouve le violent antisémite théoricien du nationalisme intégral, Charles Maurras. Il y a Alain de Benoist, figure tutélaire de la Nouvelle Droite qui a permis à l’extrême droite de cacher son racisme derrière le concept d’« identité. ». Il y a aussi José Antonio Primo de Rivera, fondateur de la Phalange espagnole, ou encore Dominique Venner passé par l’OAS et qui se suicidera en 2013 pour réveiller les consciences « contre le crime visant au remplacement de nos populations ». Un répertoire politique somme toute très composite, en tous cas pas à strictement parler d’inspiration nationale-catholique parce que dès l’origine Academia Christiana se présente aussi comme un mouvement qui a aussi pour but de rassembler au-delà les clivages. La défense de la « Civilisation européenne » (qu’elle soit perçue d’essence chrétienne ou païenne) permet de transcender ces lignes de fractures ou tout du moins d’éviter de les aborder trop frontalement.
Un ancrage normand
Malgré une domiciliation parisienne, l’association a dès ses débuts un ancrage normand, plus précisément dans l’Orne, dans la ville de Sées qui malgré sa petite taille à la particularité d’être un diocèse. Si Sées est le centre névralgique d’Academia Christiana c’est avant tout parce que son équipe dirigeante et surtout son chef, Victor Aubert, y vivent. Lors de la première université d’été organisée à Sées en 2013, la presse locale avait présenté une équipe resserrée autour de Brigitte Perret, Antoine de Leudeville, l’Abbé de Nedde (aumônier de l’évènement), Victor Aubert et Claire de la Monneraye. Julien Langella co-fondateur n’est pas cité. Pourtant il est lui aussi un porte-parole de l’association, en même temps qu’un des fondateurs de Génération Identitaire. S’il intervient régulièrement lors des évènements d’Academia Christiana, celui qui veut « passer de la Manif pour tous à la reconquête intégrale. » et lier « le message chrétien au combat identitaire » est en retrait par rapport au chef incontesté : Victor Aubert. Ce dernier est depuis 2015 professeur de français et de philosophie à l’Institut Croix-des-Vents à Sées. Cela se ressent dans la communication d’Academia Christiana où chaque évènement ressemble fort à l’intitulé d’un devoir sur table de terminale. L’université d’été 2023 était ainsi libellée : « La beauté sauvera-t-elle le monde ? ». La Croix-des-Vents à Sées est un établissement (collège et lycée) hors-contrat dirigé par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre (FSSP) qui est arcboutée sur une vision réactionnaire du catholicisme. De 2013 jusqu’en 2019 Academia Christiana a pu bénéficier des locaux de l’institut pour y tenir son université d’été.
Sées : de la lune de miel au divorce
Durant ces six premières années d’existence, Academia Christiana donne le change à Sées. Les universités d’été sont relayées par la presse régionale comme un évènement de la vie locale qui mêle philosophie et religiosité. Interrogé dans un article de Ouest-France, Victor Aubert osera même avancer que « C’est une organisation de formation et de réflexion, où nous nous intéressons à des questions de société, mais ce n’est pas politique. »
Victor Aubert avance à pas de velours car à cette période il nourrit des ambitions locales. Il y a l’envie de s’investir dans la ville dans la perspective des municipales de 2020, il y a les cours de soutien via l’association « Terre et famille de Normandie », créée par Victor Aubert avec des amis. Mais une succession d’affaires vont déchirer le vernis de respectabilité.
Fini de jouer l’innocence
Il y a cette vidéo où Victor Aubert (qui s’est parfois présenté derrière le pseudo Viktor Ober) est immortalisé lors de la "Manif pour Tous" du 16 octobre 2016, aux côtés de gudards. Il y fait un salut nazi en direction de contre-manifestant.es. La polémique s’installe durablement à Sées, notamment quand le maire, Jean-Yves Houssemaine, fait preuve d’une coupable complaisance en acceptant l’invitation à une table-ronde lors de l’université d’été de 2019, soulevant une forte désapprobation. (article de Ouest France à ce sujet)
Victor Aubert en pleine crise civilisationnelle
Une université d’été itinérante
Cette année 2019 est à plus d’un titre un moment charnière pour le mouvement. Marion Maréchal y est pressentie mais finalement renonce. Selon L’Opinion, « le cercle élargi de Marion Maréchal lui a soufflé de ne pas se rendre à un événement s’affichant anti-Soros et anti-lobby LGBT ». Même à l’extrême droite, le nom d’Academia Christiana est entouré d’une aura sulfureuse. Le partenariat avec la Croix-des-Vents s’arrête (au moins pour faire bonne figure) et désormais l’université est plutôt nomade, même si elle s’échouera souvent en Maine-et-Loire. En 2020 sa présence discrète à Notre-Dame d’Orveau (un établissement où Victor Aubert a étudié) sera dévoilée par le groupe local antifasciste RAAF (https://raaf.noblogs.org/post/2020/09/23/luniversite-dete-dacademia-christiana-a-notre-dame-dorveau-la-boucle-est-bouclee/). En 2021 les mêmes la débusquent du côté de Lisieux et enfin ces deux dernières années elle se tient encore une fois dans un établissement hors-contrat, le très réactionnaire Internat Bois-Robert, à Bécon-les-Granits à 20 km d’Angers (https://raaf.noblogs.org/post/2022/10/01/luniversite-dete-2022-dacademia-christiana-de-retour-en-anjou-et-en-catimini/). Un établissement qui a eu pour élève (comme Notre-Dame d’Orveau) une des filles de Marine Le Pen.
Cultiver l’entre-soi
Il faut comprendre que pour Academia Christiana l’université d’été (UDT) est l’évènement crucial chaque année. Il est sa raison d’être. Au tout début les conférences de l’UDT n’ont pas de limite d’âge (au moins jusqu’en 2016). Désormais elles s’adressent à une jeunesse comprise entre 16 et 30 ans. Réunissant autour de 200 à 300 participant.es cet évènement construit autour d’un thème annuel, par exemple « la communauté » ou « l’enracinement », est une succession de cours magistraux animés par des « personnalités ». Il y a aussi des séances collectives de sport (surtout des sports de combat), ainsi que de nombreux moments de prière et de messe. Les soirées sont réservées à la convivialité. Il y règne un entre-soi comparables aux rallyes bien connus par cette jeunesse majoritairement bourgeoise. Tout est mis en œuvre pour former et renforcer un esprit de corps typique de la conception sociale de l’extrême droite. L’entre-soi est gage de pureté contre une société extérieure perçue comme corrompue. L’université se clôt sur une journée de forum et de fête ouverte à toute la fachosphère qui vient y tenir une table de presse : Cocarde Étudiante, Auctorum, Némésis, SOS Calvaires, etc.
« L’affluence aux UDTs masque-t-elle un relatif manque d’influence ? »
La vie de château
Désormais d’autres moments ponctuent l’année entre deux UDTs. Un colloque depuis 2021, une sous-UDT délocalisée cette année en Provence, des « sessions de formation » et divers moments culturels axés sur la socialisation (Oktoberfest et Saint-Jean souvent tenus à Méral dans le 53). Malgré tout l’université est le cœur du projet ce qui crée une fragilité certaine parce qu’elle requiert une logistique conséquente en terme d’accueil (l’équipe logistique est elle presqu’entièrement constituée des membres du groupe néo-fasciste angevin l’Alvarium). C’est pourquoi Academia Christiana cherche à se mettre à l’abri d’un coup dur en achetant un bien et si possible un château pour ne pas se retrouver sans point de chute. Fin 2022, il manquerait 70000€ pour accomplir ce projet qui nécessiterait aussi 30000€/an pour rémunérer un permanent.
Une ouverture à tous les courants catholiques (pourvu qu’ils soient réactionnaires)
Il serait maladroit de dresser un portrait d’Academia Christiana sans aborder son positionnement religieux. De part son histoire l’association entretient une affinité élective avec la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre qui dirige la Croix-des-Vents. La FSSP compte nombre d’intervenants à l’UDT : Nicolas Tellisson, Vincent Ribeton, Vincent Bauman (FSSP puis Institut Bon Pasteur). Mais c’est là encore sans exclusive, tous les courant les plus tradis sont accueillis avec pour dénominateur commun la défense du rite extraordinaire et une forme de défiance envers l’ouverture représentée par le concile de Vatican II : Matthieu Raffray de l’Institut du Bon Pasteur, Louis-Marie de Blignières de la Fraternité Saint-Vincent Ferrier. Certains intervenants font des ponts vers les schismatiques comme Guillaume de Tanoüarn, co-fondateur de l’Institut Bon Pasteur autrefois passé par les rangs des intégristes de la Fraternité Saint-Pie-X, les héritiers de Marcel Lefebvre.
Tous les goûts sont dans la râclure
Une forme assez spéciale de tolérance règne chez Academia Christiana. Jusque chez les intervenant.es qui ne sont pas forcément de fervent.es catholiques.. Ainsi Jean Yves Le Gallou, connu pour ses affinités avec la mouvance néo-païenne permet de faire passerelle avec d’autres familles de l’extrême droite. Même chose pour Arnaud de Robert ancien du Mouvement d’Action Sociale (2008-2016), groupe néo-solidariste à la conception païenne du monde. (voir cet article de 2018 sur la résurgence des groupuscule néofascistes : https://www.slate.fr/story/159568/bastion-social-neofascisme-france). Quoi qu’il en soit chaque UDT est l’occasion d’inviter des personnalités toujours très radicales et plutôt en périphérie ou à l’extérieur du jeu politique électoral traditionnel. Que ce soit un « penseur » comme Renaud Camus et son fantasme du « Grand Remplacement », un pseudo-journaliste comme Yann Valerie de Breizh Infos, ou une activiste comme Anne-Thaïs du Tertre (dite Thaïs d’Escufon), ancienne porte-parole de Génération Identitaire recyclée en influenceuse anti-féministe.
Appuyer là où ça fait mal
Academia Christiana semble bien se porter. Les UDTs font le plein, les évènements annexes se multiplient. Le groupuscule bénéficie de soutiens relativement solides (que l’on pense à M. Pattier directeur du Bois-Robert qui accueillait encore l’UDT cette année) et du laisser-faire coupable des autorités qui se retranchent derrière la propriété privée pour laisser ce petit monde se réarmer intellectuellement. Mais, elle ne peut plus cacher sa radicalité comme elle l’a fait à ses débuts. Le 16 février 22, un reportage dans « l’oeil du 20h » montre à quelques 4,3 millions de personnes l’antisémitisme décomplexé qui règne en interne. Sans compter qu’après 10 ans de formations, l’entre-soi bourgeois qui règne à chaque UDT ne semble pas déboucher sur une pléthore de nouveaux jeunes cadres d’extrême droite.
L’UDT serait-elle surtout l’occasion de créer un espace favorable de rencontres entre jeunes gens bien-né.es ? Cette dimension semble assumée. Des couples se forment et des enfants naissent. L’affluence aux UDTs masque-t-elle un relatif manque d’influence ? Il est trop tôt pour se prononcer mais ce qui est certain c’est qu’empêcher la tenue d’une université serait un coup décisif porté au groupuscule.
La Horde