EPR de Flamanville : fuites des systèmes de refroidissement

Un article du Réseau Sortir du Nucléaire du 6 août informant d’une importante fuite de gaz à effet de serre dans les systèmes de refroidissement de l’EPR de Flamanville, en cours de démarrage.

L’article d’origine ici : https://www.sortirdunucleaire.org/France-EPR-Flamanville-Fuites-sur-des-systemes-de-refroidissement

"France : EPR Flamanville : Fuites sur des systèmes de refroidissement
Produits chimiques et gaz à effet de serre : le quota annuel déjà dépassé"

Le 31 juillet 2024, EDF a déclaré un incident qualifié de « significatif pour l’environnement ». En vérifiant des équipements de refroidissement de l’EPR de Flamanville (Normandie), l’industriel a découvert qu’il y avait eu des fuites de produits chimiques. La limite autorisée, fixée à 100 kg/an, a été atteinte et dépassée. Les substances qui ont fuité, des fluides frigorigènes, se transforment en puissants gaz à effet de serre lorsqu’elles sont relâchées dans l’atmosphère. Un nouvel incident qui vient rallonger la très longue liste de ceux déclarés depuis que les opérations de démarrage du réacteur ont débuté mi-mai 2024.

Les liquides de refroidissement sont très prisés dans les centrales nucléaires. Étant donné la chaleur dégagée dans certaines zones de l’installation, sans ce refroidissement les températures deviendraient insupportables, tant pour le personnel que pour les matériels. Ces liquides réfrigérants permettent le refroidissement et la climatisation de certains locaux. Mais ces substances sont des produits artificiels qui, par leur composition chimique (carbone, fluor, hydrogène), participent activement au réchauffement climatique si elles sont relâchées dans la nature.

De la famille des hydrofluorocarbures (HFC), et de forme liquide lorsqu’ils sont sous pression, les fluides réfrigérants passent à l’état gazeux dès qu’ils sont à l’air libre. Toute fuite de liquide de refroidissement provoque des rejets de gaz dans l’atmosphère. Des gaz qui ont un pouvoir de réchauffement global (PRG) beaucoup plus puissant que les gaz à effet de serre plus connus tels que le dioxyde de carbone (CO2) ou le méthane (CH4).

Par exemple, 1 kg de liquide de refroidissement de type R134A a le même effet en terme de réchauffement sur 20 ans que 3 710 kg de CO2 [8]. Quand EDF constate une fuite d’un kg de liquide de refroidissement de type R125, c’est l’équivalent d’un rejet de plus de 6 000 kg de CO2 dans l’atmosphère. EDF ne précisant pas quel type de liquide de refroidissement est utilisé dans ses centrales, il est impossible d’estimer l’équivalence CO2 de ces fuites.

Qui plus est, une fois dans l’atmosphère, ces substances restent actives longtemps. Par exemple, il faut plus de 28 ans pour que le pouvoir de réchauffement global du R125 diminue de moitié (demi-vie de 28.2 ans [9]) ; et encore 28 années de plus pour que son activité diminuée de moitié soit de nouveau divisée par 2, etc. L’accumulation dans l’atmosphère au fil du temps (et des fuites) de ces gaz à effet de serre ont un impact environnemental indéniable. Les HFC ont d’ailleurs été l’objet d’un accord ratifié par 140 pays lors du Protocole de Montréal en 2016 (l’amendement Kigali), afin que leur production et leur consommation soit réduite d’au moins 80% d’ici à 2050.

Étant donné leur impact négatif sur l’environnement et la nécessité de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre pour cause de dérèglement climatique, des limites sont fixées pour les fuites de liquides de refroidissement des installations industrielles. Les centrales nucléaires ont toutes le droit de laisser fuiter 100 kg de liquide de refroidissement par an (quelque soit le type utilisé). En réalité elles s’octroient le droit d’en laisser fuiter plus que ça, et dépassent régulièrement ce quota. Dans ces cas-là, elles sont tenues de déclarer ce dépassement aux autorités, en tant qu’évènement « significatif pour l’environnement » [10]. C’est ce qu’a fait EDF le 31 juillet 2024.

Le réacteur EPR de Flamanville, après 17 années de chantier, est alors en phase de démarrage. La cuve est chargée de combustible mais la réaction nucléaire n’a pas encore été lancée. Les derniers tests et essais sont réalisés, en « condition réelle » : les circuits sont remplis d’eau, la température augmente, les équipements tournent. Il est donc nécessaire de les refroidir, comme ceux qui sont dans les locaux électriques par exemple.
C’est en vérifiant le système de ventilation de ces locaux le 30 juillet qu’une « perte » d’environ 21 kg de liquide de refroidissement a été constatée. Il y avait donc une fuite. Depuis combien de temps ? EDF ne précisant pas à quand remonte le dernier contrôle de la ventilation, impossible de le savoir. À quoi était dû cette fuite ? Là non plus, aucune explication n’est livrée par l’exploitant.

Hic supplémentaire, cette fuite n’était pas la première. Ces 21 kg sont venus s’ajouter aux 86 kg de liquide de refroidissement évaporés depuis le début de l’année. Le total (107 kg) dépasse donc le seuil annuel. EDF ne fournit aucune explication quant aux causes de ces fuites récurrentes. Mais il semble que les équipements ne soient ni en bon état, ni suffisamment souvent contrôlés pour que les fuites soient évitées.

Et quand on parle de récurrence, ce n’est pas seulement au fil des mois, mais d’année en année. EDF ne semble donc pas capable de tirer leçon de ses erreurs passées. Déjà en 2023, l’EPR avait ce problème de fuites sur ses équipements réfrigérants : EDF avait constaté une « perte » de 265 kg de liquide de refroidissement dans le réservoir d’un équipement servant à produire de l’eau glacée. L’EPR de Flamanville n’est pas encore en service qu’il pollue déjà l’environnement.

Ce nouvel incident, déclaré le 31 juillet 2024, vient à la suite d’une longue série : 27 incidents significatifs pour la sûreté (puisqu’ils ont augmenté le risque d’accident [11]) ont été déclarés entre le 17 mai et le 30 juillet (6 incidents classés au niveau 1 de l’échelle des accidents nucléaires [12] , et 21 au niveau 0 [13] ).
Depuis que les opérations de démarrage ont commencé, les problèmes se succèdent et tous démontrent qu’EDF a bien du mal à prendre en main son « nouveau » réacteur nucléaire. Plus gros, plus puissant et surtout plus complexe, l’exploitant semble dépassé. Il a pourtant eu 17 années pour se préparer. Le démarrage, autorisé par l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) en mai, a d’ailleurs été suspendu en juin, pour « sécuriser les activités » [14] . Elles ont repris, mais les incidents aussi.

L.B.

Ce que dit EDF :

Actualités réglementaires du réacteur n°3 de Flamanville - juillet 2024

Publié le 06/08/2024

Evénement significatif environnement (ESE)

31/07/2024 - Déclaration d’un événement significatif environnement (ESE) suite au dépassement d’un seuil de rejet de fluide frigorigène

Dans une installation industrielle, les fluides frigorigènes sont utilisés dans les systèmes de production de froid. Ils permettent le refroidissement et la climatisation de différents locaux. Les opérations de maintenance réalisées régulièrement sur ces systèmes permettent de contrôler les fluides frigorigènes et d’en détecter les émissions.

Le 30 juillet 2024, les équipes ont procédé à un diagnostic du système de ventilation des locaux électriques. Le pesage du fluide frigorigène a mis en évidence une perte de 20,89kg de fluide par rapport à la quantité initialement contenue.

Les équipes sont immédiatement intervenues pour en identifier l’origine, et remettre en conformité les installations.

Cet événement n’a eu aucune conséquence sur la sûreté des installations ni sur la santé des salariés.

Toutefois, ajouté au cumul de fluide frigorigène émis au titre de l’année 2024, cela constitue un dépassement de la limite réglementaire établie à 100kg par an (107,1kg au 30/07/2024). Cet événement a été déclaré par la direction de la centrale de Flamanville 3 comme événement significatif pour l’environnement le 31 juillet 2024 à l’Autorité de sûreté nucléaire.

https://www.edf.fr/la-centrale-nucleaire-de-flamanville-3-epr/les-actualites-de-la-centrale-nucleaire-de-flamanville-3-epr/actualites-reglementaires-du-reacteur-ndeg3-de-flamanville-juillet-2024

[1] Source : « Certains gaz à effet de serre des centrales nucléaires », Bernard Laponche, octobre 2020, Global Chance.
* : La courbe de décroissance du CO2, pour une émission de 1 l’année 0 : 0,217+ exponentielles de demi-vies : 173 ans (26%), 18,5 ans (34%), 1,2 ans (2%).

[2] Une demi-vie correspond à la période de temps nécessaire pour que l’activité de la substance se réduise de moitié.

[3] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[4] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[5] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici

[6] 7 évènements significatifs pour la sûreté (ESS) niveau 0 entre le 17 mai et le 5 juin, 4 ESS entre le 14 et le 27 juin, 10 ESS entre le 9 et le 30 juillet. Soit 27 ESS en 10 semaines

[7] Depuis la mise en service du réacteur, l’exploitant a déclaré plusieurs événements significatifs pour la sûreté (...). Début juin 2024, à la suite du nombre et de la nature des événements significatifs déclarés depuis la mise en service, EDF a suspendu momentanément les opérations de démarrage du réacteur le temps d’analyser les causes profondes des événements déclarés, de mettre en place des actions correctives et de sécuriser les activités à venir pour la poursuite du démarrage du réacteur. L’ASN est particulièrement vigilante quant à l’analyse des causes profondes de ces événements et aux actions menées par EDF pour en tirer pleinement le retour d’expérience et sécuriser les activités de démarrage à venir. Source : ASN, note d’information du 02/07/2024

[8] Source : « Certains gaz à effet de serre des centrales nucléaires », Bernard Laponche, octobre 2020, Global Chance.
* : La courbe de décroissance du CO2, pour une émission de 1 l’année 0 : 0,217+ exponentielles de demi-vies : 173 ans (26%), 18,5 ans (34%), 1,2 ans (2%).

[9] Une demi-vie correspond à la période de temps nécessaire pour que l’activité de la substance se réduise de moitié.

[10] Événements significatifs : incidents ou accidents présentant une importance particulière en matière, notamment, de conséquences réelles ou potentielles sur les travailleurs, le public, les patients ou l’environnement. https://www.asn.fr/Lexique/E/Evenement-significatif En dessous des évènements significatifs, il y a les évènements dits « intéressants », et encore en dessous les « signaux faibles ». Un évènement catégorisé « significatif » est donc déjà « en haut de l’échelle » d’importance des évènements

[11] La sûreté nucléaire est l’ensemble des dispositions techniques et des mesures d’organisation relatives à la conception, à la construction, au fonctionnement, à l’arrêt et au démantèlement des installations nucléaires de base, ainsi qu’au transport des substances radioactives, prises en vue de prévenir les accidents ou d’en limiter les effets. https://www.asn.fr/Lexique/S/Surete-nucleaire

[12] INES : International nuclear and radiological event scale (Échelle internationale des événements nucléaires et radiologiques) - Description et niveaux ici

[13] 7 évènements significatifs pour la sûreté (ESS) niveau 0 entre le 17 mai et le 5 juin, 4 ESS entre le 14 et le 27 juin, 10 ESS entre le 9 et le 30 juillet. Soit 27 ESS en 10 semaines

[14] Depuis la mise en service du réacteur, l’exploitant a déclaré plusieurs événements significatifs pour la sûreté (...). Début juin 2024, à la suite du nombre et de la nature des événements significatifs déclarés depuis la mise en service, EDF a suspendu momentanément les opérations de démarrage du réacteur le temps d’analyser les causes profondes des événements déclarés, de mettre en place des actions correctives et de sécuriser les activités à venir pour la poursuite du démarrage du réacteur. L’ASN est particulièrement vigilante quant à l’analyse des causes profondes de ces événements et aux actions menées par EDF pour en tirer pleinement le retour d’expérience et sécuriser les activités de démarrage à venir. Source : ASN, note d’information du 02/07/2024

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