Résumé de lecture de « Pacifisme et antimilitarisme dans l’entre-deux guerres (1919-1939) » (en France) du militant anarcho-syndicaliste de ces époques Nicolas Faucier

Ce livre a été une base importante pour m’informer sur ce qu’a été l’anti-militarisme sur le territoire occupé par l’État français au moment où les guerres faisaient partie du quotidien des personnes qui y vivaient. J’ai essayé de résumer dans la perspective que ça serve à donner des idées et de la perspective pour s’organiser et agir concrètement contre les guerres d’aujourd’hui. Une question insoluble demeure : pourquoi le militarisme a gagné partout alors qu’il a fallu une seule personne pour incendier le Reichtag au moment de la prise de pouvoir d’Hitler ?

Nicolas Faucier est un militant anarcho-syndicaliste anti-militariste (1900-1992) du début du 20e siècle. Fils d’ouvrier.ère.s, il commence à lutter alors qu’il est matelot à la Marine Nationale lors d’une mutinerie qui lui valut le cachot et un changement de navire. Par la suite, il adhère à l’Union Anarchiste (organisation qui existe depuis 1920 jusque 1939 et qui se recompose après 1945 et est renommée « Fédération Anarchiste »). Au moment de la déclaration de la guerre, il s’y oppose par le biais d’un texte écrit avec Louis Lecoin, avec lequel il est chargé de la Section française internationale antifasciste (créée suite à la Révolution espagnole en 1937), pour dénoncer 15 septembre 1938 dans Le Libertaire une “guerre entre deux camps capitalistes”. Condamné à de la prison pour ce texte puis pour d’autres, il finira sa peine en 1943 et sera saisi sur ordre des autorités allemandes pour être emmené au camp de Rouillé et parvient à s’évader lors d’un transfert vers une carrière. À la suite de cette évasion, il se cache chez des ami.e.s anarchistes et écrit ce livre pour « justifier, à tort ou à raison, mon refus de participer à l’énorme mystification homicide de la soi-disant croisade des démocraties contre le fascisme » (p.9). Ce témoignage est particulièrement important par cette intention d’honnêteté plutôt que de propagande, de raconter des faits par le biais d’une expérience. Quelques informations complémentaires ont été trouvées également à travers d’autres lectures ou sur wikipédia.

a. La première grande boucherie (guerre 1914-1918)
c. La paix des Nations ou l’ironie du sort
a. Instrumentalisations des luttes par les organisations autoritaires
b. À propos des luttes radicales contre le militarisme

La première grande boucherie (guerre 1914-1918)

Il est important de revenir sur ce qu’il se passe avec la première guerre mondiale. Avant celle-ci, les organisations militantes socialistes en France étaient opposées à toute forme de patriotisme et de nationalisme. La Confédération Générale des Travailleurs (CGT), importante à l’époque, donnait à tous ses adhérent.e.s « Le Livret » qui se moquait et critiquait la culture militariste nationale. Elle entretenait des liens avec des grandes organisations révolutionnaires des pays voisins et imaginait des appels à la désertion voire des grèves générales en cas d’une déclaration de guerre. Mais quand la guerre fut déclarée, rien de tout cela ne se produisit. La faute à qui ? Selon les responsables syndicaux d’alors, à la « classe ouvrière  », acquise au nationalisme revanchard ambiant depuis la défaite de la guerre franco-prussienne de 1870-1871, diffusé par une presse financée par les industriels qui bénéficiaient des guerres, ces ouvrier.ère.s. S’il apparaît facile de leur part de mettre ces échecs sur le dos de la « classe ouvrière », il l’était beaucoup moins de faire face à la répression en amont de la déclaration de la guerre et suite à celle-ci. Le carnet B fichait tous les militant.e.s suspecté.e.s de vouloir s’opposer à la guerre et il était prévu de les arrêter avant l’ordre de mobilisation des soldats parmi les citoyens. Mais cela n’a même pas été nécessaire. Après l’assassinat de Jaurès en 1914, député socialiste qui tentait alors de faire passer un texte de loi stipulant la grève générale internationaliste en cas de mobilisation guerrière, les autres chefs socialistes se sont pliés aux ordres du ministère de L’Intérieur. L’Internationaliste Ouvrière Socialiste allemande a adhéré à la mobilisation guerrière et de nombreux.euse.s militant.e.s depuis le territoire de l’État français, pourtant fondamentalement opposé.e.s à celle-ci, se sont mis à la voir comme un moindre mal, laissant une minorité d’anti-militaristes se battre contre la mobilisation guerrière.

Du côté des syndicats, les représentant.e.s de la CGT ont adhéré au nationalisme guerrier, contrairement à la Fédération des Métaux animée par Merrheim. Dans un second temps, ils ont été mis en pas lorsque le ministre de la guerre les a menacé de les envoyer au front. Il s’agissait ensuite pour eux d’adhérer à une guerre au nom de la paix en mettant la faute sur le dos des « forces mauvaises  » adverses. Et voilà que ces « bureaucrates syndicaux et capitulards de tout poils, transformés du jour au lendemain en néonationalistes qui, dans le Bataille syndicale nouvelle manière et ailleurs, rendaient les meilleurs services aux jusqu’auboutistes gouvernementaux en veillant au moral à l’arrière » (p.33). C’est peut être le contrecoup des solutions représentatives envisagées par ces responsables syndicaux, les réduisant ici à l’impuissance et à la collaboration. Les quelques syndicalistes qui s’y opposèrent ouvertement, comme Pierre Monatte, furent envoyés au front par la suite. Ceux-ci, par leurs statuts de représentants de grandes organisations syndicales, étaient déjà connus et fichés par les autorités publiques.

Malgré l’« étroite surveillance de la presse et des imprimeries, et des mesures énergiques contre les mobilisés d’usines qui se mêlaient à l’action pacifiste » (p.36) mise en place par le général Pétain (qui commandait les armées à l’époque), des actions de contestation de la guerre ont bien existé. Un rapport de 1916 adressé au ministère français de la Guerre rend compte d’une « véritable épidémie de tracts émanant du Libertaire, du Comité pour la reprise des relations internationales, du Comité de Défense Syndicaliste, de la Fédération des métaux, du Syndicat des Instituteurs, de l’anarchiste Sébastien Faure… » ainsi que d’une brochure qualifiée des « plus dangereuses indications et (…) pires conseils » nommée « En cas de guerre, décrit les procédés pratiques de sabotage  ». Des discussions internationales anti-militaristes ont eu lieu, notamment la conférence de Zimmerwald en Suisse en novembre 1915 où plusieurs représentant.e.s internationalistes, dont Lénine et Trotsky ou encore Merrheim, dénonçaient l’entreprise capitaliste du nationalisme guerrier et la nécessité de faire pression sur les gouvernements de chaque pays pour y mettre fin. Les déclarations de cette Conférence, comme d’autres qui s’opposaient à la propagande de guerre, circulaient le plus souvent sous forme de brochures.

En 1917, l’épuisement général d’une guerre qui s’éternisait et les échos d’une Conférence internationale pour la paix appelée par des militant.e.s de la 2e Internationale amenèrent des explosions plus fortes. Il y eut de nombreuses mutineries internes aux armées, aboutissant notamment à la révolution bolchevique en URSS et à la révolution spartakiste en Allemagne. Au sein des effectifs militaires français en juin 1917, il y aurait eu des mutineries dans 113 régiments des 16 corps des armées qui impliquèrent entre 50000 et 100000 hommes. Selon Faucier, l’État français a réussi à les gouverner par le biais d’agents déguisés en soldats qui provoquaient des mutineries en anticipant leur répression. Cette méthode a fait plus de 700 « fusillés pour l’exemple » et des milliers de peines aux travaux forcés. Suite à ce climat de délitement des engouements nationalistes et de mutineries révolutionnaires de part et d’autres (il y eut également un mouvement d’occupations d’usines en Italie), l’armée des État-Unis est intervenue pour mettre fin à cette guerre par la « victoire » des nations alliées.

La paix des Nations ou l’ironie du sort

La première guerre mondiale est souvent interprétée comme une manière, pour les gouvernant.e.s et les industriels, de dissoudre les conflits sociaux dans les passions nationalistes. En France notamment, les sentiments nationalistes revanchards envers l’Allemagne suite à la guerre franco-prussienne de 1870 étaient vivaces. Pour autant, ces quatre années de guerre ont « démoralisé » (comme le disaient les gouvernements de l’époque) les soldats de part et d’autre et ont abouti à des mutineries voire à des insurrections. Ainsi, après cette guerre, faire perdurer la « paix » était un mot d’ordre pour les gouvernements, sans pour autant changer quoi que ce soit à l’ordre établi reposant sur le système capitaliste et l’asservissement industriel des humains et du vivant en général. À l’occasion de la Conférence de la paix de Paris en 1919, les représentants des nations vainqueurs ont établi les conditions de la « paix » pour les nations vaincues dans le cadre du traité de Versailles. Celui-ci actait le partage des colonies et de quelques régions de l’Allemagne aux nations vainqueurs, des conditions économiques et taxes contraignantes pour l’Allemagne bénéficiant aux nations vainqueurs, une réduction des effectifs militaires et une mise à l’arrêt des industries d’armement de l’Allemagne. Il acte également un traité de libre-échange au sein de la Société des Nations. Cette dernière a été créée à cette occasion pour mettre en œuvre la « paix » par « le désarmement, la prévention des guerres au travers du principe de sécurité collective, de la résolution des conflits par la négociation, et de l’amélioration globale de la qualité de vie ».

Dans le cadre du traité de Versailles et de la Société des Nations, le désarmement de l’Allemagne serait le commencement d’un désarmement progressif plus général qui concernerait également les nations vainqueurs. Les négociations, débats, divergences et ententes à travers la Société des Nations devaient permettre leur entente paisible. Cette Société n’a pas de force armée qui la rendrait indépendante des armées nationales des Nations qui la constituent pour l’application de ses résolutions (comme l’ONU plus récemment par exemple). Le développement économique, parce qu’il apparaît comme la base de la qualité de vie et du progrès social, s’il serait sérieusement mis en œuvre, devait également favoriser ce désarmement. L’idée de la paix sociale de la Société des Nations se fait principalement contre l’auto-organisation du mouvement socialiste d’époque. Le traité de Versailles envisageait en ce sens de « prendre en tutelle “cet être mineur qu’est le travailleur”” (préambule partir XIII) » avec des propositions de réformes semblables aux mesures qui ont été mises en place une quinzaine d’années plus tard par le Front Populaire en France. L’écrasement de la révolution spartakiste (en 1919 en Allemagne suite aux mutineries de 1918 dans l’armée allemande, à ce sujet un court résumé en annexe de cet article), dont l’esprit d’insurrection aurait pu se diffuser par-delà les frontières nationales, était prioritaire pour l’application du traité de Versailles. Ainsi, les mitrailleuses, munitions et blindés confisqués au gouvernement allemand lui ont été restituées pour exercer cette répression, et les armées des nations qui ont signé ce traité, alors qu’elles se battaient les unes contre les autres quelques années auparavant, fonctionnaient ensemble pour écraser ces révoltes spartakistes. Cette répression a fait environ des dizaines de milliers de morts (diverses sources évoquent 15000, d’autres 40000).

Les intérêts divergents des Nations qui constituaient la société des Nations n’ont pas permis un « désarmement progressif ». Derrière les négociations diplomatiques, les différentes nations ont continué à préparer leurs conquêtes ou leurs défenses armées comme tous les hommes d’État ne savent que faire. De plus, les industriels de l’armement de tous pays diffusaient par le biais des médias manipulaient l’information pour saboter toute initiative de paix. Aristide Briand, qui participait à la Société des Nations en tant que ministre français des affaires étrangères, répondit à une coordination de collectifs féministes pacifistes en leur disant que tout effort pour la paix est sans cesse fragilisé par des campagnes de presse mensongères financées par les industries d’armement. Selon lui, « les articles contre la paix sont écrits avec une plume taillée dans le même acier que les canons et les obus » (p.19). Les conditions imposées à l’Allemagne par les Nations vainqueurs vont constituer une forme d’impérialisme économique et de surrexploitation qui va alimenter un fort ressentiment national. Celui-ci va s’accentuer en 1923 lorsque l’armée française occupe la Rhur, région industrielle principale de l’Allemagne et en 1927 lorsqu’elle construit une longue ligne aux abords de cette région (la ligne « Maginot »). Une conscience réactionnaire reprochait aux « marxistes » de les avoir déchu de la grandeur militaire allemande d’avant guerre. C’est auprès d’eux et des « magnats de l’industrie et de la finance » (p.21) qu’Hitler a pu financer une intense propagande et trouver des hommes de main dévoués pour constituer ses sections d’assault. Celles-ci protégeaient ses meetings et prenaient goût à propager la terreur dans les quartiers ouvriers. Petit à petit, la concentration des militant.e.s socialistes sur des questions anti-fascistes (et non sur une critique générale du salariat et de l’État), ainsi que les déceptions de la « révolution spartakiste », ont permis à Hitler de gagner le pouvoir en se posant comme seule alternative incarnant une certaine puissance et en faisant croire que son régime pouvait être socialiste alors qu’il était financé et relayé par une partie de la bourgeoisie.

Lors d’une Conférence du désarmement en 1932, réunissant plusieurs nations, Hitler a demandé l’égalité de l’armement des nations présentes en proposant que les autres nations s’établissent à l’échelle basse de désarmement imposée à l’Allemagne. Comme il l’avait prévu, cela a été refusé, lui donnant ainsi un prétexte pour quitter ces instances, de révéler l’hypocrisie de la Société des Nations et de relancer l’industrie de guerre allemande comme un moyen de retrouver la grandeur d’antan, à l’aide du slogan « Des canons plutôt que du beurre ». Tout en se défendant d’une attitude correcte du point de vue du pacifisme d’État, cette remilitarisation de l’Allemagne a précipité la seconde guerre mondiale et ce qui s’en est suivi. De 1933, l’année où l’Allemagne quitte la Société des Nations, à 1938, la production allemande a quadruplé et comptait 400 avions par mois contre 35 pour la production française, et de meilleure qualité que les industries françaises et anglaises. Elle a produit également un grand réseau d’autoroutes pour acheminer rapidement troupes et matériels.

La Société des Nations, après avoir permis de régler pacifiquement plusieurs conflits (dans les îles Åland, en Albanie, en Autriche et Hongrie, en Haute-Silésie, à Memel, en Grèce face à la Bulgarie, en Sarre, à Mossoul, dans le sandjak d’Alexandrette, au Liberia, entre la Colombie et le Pérou), s’est avérée inefficace par la suite. Les conflits se sont accélérés en amont de la seconde guerre mondiale, avec la guerre civile espagnole à la suite du coup d’État des factieux militaires menés par Franco, l’agression italienne en l’Ethiopie par les armées dirigées par Mussolini, l’impérialisme japonais, l’annexion de l’Autriche par les armées d’Hitler et les menaces contre la Pologne… On peut même dire qu’elle a produit les conditions de la seconde guerre mondiale par les conditions imposées à l’Allemagne. Leur propagande pour un développement économique et des solutions nationales comportent en elles-mêmes la finalité des guerres intérieures et extérieures, au détriment de l’auto-organisation des prolétaires par-delà les nations et les frontières. Ces impensés ou hypocrisies ont été exploités par les fascistes que sont Hitler, Franco ou Mussolini au moment où la conjoncture économique était à nouveau portée à faire la guerre aux pauvres de toutes les nations.

Instrumentalisations des luttes et nationalisme d’opportunité chez les organisations autoritaires

Si les mutineries dans l’armée française n’ont pas abouti à des débordements révolutionnaires après la première boucherie, elles rendent compte des colères des soldats français suite à une guerre qui a fait 10 millions de mort.e.s, vingt et un millions de blessé.e.s et 7 millions de disparu.e.s. Cette ambiance frondeuse était en France à l’avantage de la CGT qui passa de 300 000 adhérent.e.s avant la guerre à 2 millions par la suite. C’est dans ce contexte de colères orientées contre ces massacres et de slogans pour la démobilisation immédiate des soldats et l’amnistie pour les pacifistes, anti-militaristes et mutins que la CGT évoquait la réforme des 8 heures de travail par jour (p.45). De multiples groupes visant la défense et la réparation des victimes de la guerre se constituèrent avec le Comité de défense sociale ou le Comité pour l’amnistie aux déserteurs et insoumis. Des communistes et des anarchistes s’unifiaient pour faire des manifestations contre les mobilisations militaires mais selon Faucier ces actions n’avaient que trop peu de répercussions « dans les couches populaires » (p.50). Ce feu révolutionnaire fut étouffé par la victoire électorale d’un « bloc national » qui axa sa campagne sur l’héroïfication des soldats, par des louanges, des cérémonies, des inaugurations, des monuments aux morts et des slogans qui captaient ces colères sous une nouvelle forme nationaliste revancharde avec le mot d’ordre « l’Allemagne paiera ». Pendant l’occupation de la Rhur, une importante région pour l’industrie en Allemagne, les travailleur.euse.s allemand.e.s résistaient par le sabotage et quelques révoltes aux forces françaises (comme les y incitaient le gouvernement allemand) mais étaient réprimé.e.s en retour. La propagande internationaliste et anti-militariste dans le camp français était difficile et réprimée par des saisies et perquisitions de journaux. Selon Faucier, elle touchait peu les populations et souffrait de la volonté du Parti Communiste de la CGT-U de monopoliser les luttes et d’avancer leur propre propagande au nom de l’unité, ce qui menait à « un sectarisme aveugle et fourbe tout à la fois » (p.54). L’armée française avait mobilisé 80% de soldats d’Afrique du Nord, pour beaucoup analphabètes ou lisant difficilement le français. Ce sont au final des dimensions diplomatiques (l’intervention de l’Angleterre pour faire baisser l’inflation) et électorales (l’arrivée au pouvoir des gauches) qui mirent fin à cette occupation.

Les scissions et les alliances dans cette période militante d’après-guerre vont se restructurer en fonction de la « faillite de l’internationalisme » dans les différentes stratégies des dirigeant.e.s syndicaux, socialistes et communistes. Ces derniers, en 1920, vont créer l’Internationale Communiste, adopter une attitude réformiste envers la Société des Nations, prendre le contrôle du média « L’Humanité » et tenter d’exercer un contrôle sur l’ensemble des syndicats et organisations économiques et sociales du prolétariat. À cette scission va s’ajouter celle en 1921 de la CGT et le licenciement des adhérent.e.s aux Comités Syndicalistes Révolutionnaires, en découle la CGT-U (unitaire) et la CGT-SR (syndicalistes révolutionnaires). Plus radicale, la Fédération Syndicale Internationale tenta de s’appuyer sur les élans révolutionnaires d’après-guerre mais la faiblesse des liaisons affaiblissait ses capacités d’embargo. La stratégie de l’Internationale Communiste consistait dans un premier temps à délégitimer les officiers aux yeux des soldats. Par le biais de L’Humanité, une propagande existait sous le nom du concours des « gueules de vache » par l’envoi des photos et communiqués à propos d’officiers pour les ridiculiser. L’objectif était de faire passer le terme dans le langage commun. Suite à l’échec de cette stratégie, il était alors question de noyauter l’armée pour la conquérir de l’intérieur. Ils incitaient ainsi les soldats communistes à intégrer l’armée, à bien tout apprendre et à monter en grade pour pouvoir retourner leurs fusils contre les « ennemis de classe » quand le temps serait venu. Cette stratégie ne produit selon Faucier que des militaires carriéristes assimilés ou des peines dans des corps d’« exclus » (comme les bataillons disciplinaires d’Afrique par exemple) ou en prison pour ceux qui étaient démasqués. Dans le même temps, l’idéologie d’extrême droite « entretient une vigilance permanente pour empêcher le développement du “mauvais esprit” sur le contingent (…) afin de le préserver de tout acte d’indiscipline » (p.59). Communistes et fascistes se faisaient ainsi écho pour condamner le refus d’être instrumentalisé.e.s dans le militarisme, assimilé à du « pacifisme non-violent » comme « opium démobilisateur de l’esprit révolutionnaire ». Faucier dénonce également la logique performative et sacrificielle attribuée au prolétariat comme acteur historique de la révolution par les relais de l’Internationale Communiste, qui incitait certain.e.s à prendre des risques démesurés lors de manifestations et à perdre leur temps et leurs forces plutôt que des perspectives de lutte à long terme. Les communistes accusaient celles et ceux qui affirmaient leurs désaccords avec leurs stratégies de faire le jeu des Alliés, selon une logique « anti-impérialiste  » qui allait dans le sens de tout ce qui pouvait venir de l’URSS.

Il y eut également des oppositions à la guerre de reconquête colonialiste menée par l’armée française en 1924 suite à des résistances dans le Rif marocain. L’instrumentalisation qu’en ont fait le Parti Communiste et leur « sectarisme moscoutaire » est symptomatique de cette stratégie « anti-impérialiste », qui consistait à confondre des revendications liées à des luttes particulières avec les stratégies de l’Internationale Communiste pour faire adhérer le maximum de personnes à leur hégémonie. C’est ainsi qu’un comité fondé par le PC pour faire campagne contre la guerre au Maroc y rajoutait d’autres réformes qui confondait cette lutte avec un cadre national français, comme un plébiscite en Alsace-Lorraine. Un autre comité fondé par l’Union Anarchiste militait contre cette guerre et pour la grève générale mais il y eut à nouveau des perquisitions, du matériel saisi et des journaux poursuivis. Le projet de la grève générale fut repris par le PC et la CGT-U mais, selon Faucier, leur propension à vouloir monopoliser les luttes pour les instrumentaliser en leur sens aboutit à une grève minoritaire et fut facilement réprimé. La reconquête continua avec l’écrasement des Rifains et la déportation d’Abd-El-Krim, figure importante de ce mouvement, à la Réunion (qui s’évada par la suite lors d’une escale). Plus tard, alors que l’armée italienne commandée par Mussolini décida d’attaquer et d’envahir en Éthiopie, l’Internationale des Résistants à la guerre, née de pacifistes et d’objecteurs de conscience (des personnes qui militent pour le droit individuel de ne pas faire la guerre) dans plusieurs pays en 1921 et dont faisaient partie plusieurs célébrités (Gandhi, Einstein, Bertrand Russel), fut la première à rechercher une action internationale contre cette agression. Elle appelait « au mouvement ouvrier de tous les pays pour priver, par l’action directe du boycottage, le gouvernement italien des matières premières nécessaires à son industrie de guerre » (85), ce qui fut repris par la Fédération internationale des transports et des syndicats de dockers. Les Internationales ouvrières socialiste et communiste ont tergiversé et ne voulaient pas agir l’une sans l’autre, alors que les rapports commerciaux et diplomatiques entre l’URSS et l’Italie fasciste persistaient, empêchant ainsi de faire résonance à cet appel. Pendant la guerre civile espagnole, le Komintern (les décisionnaires de l’URSS) a même refusé de soutenir les révolutionnaires qui contre les fascistes, se méfiant des dimensions anarchistes majoritaires et se mêlant à une politique de non-intervention confortable à tenir alors que les armées fascistes se renforçaient.

La grande crise économique des années 1930 marque une rupture et un retournement du Komintern contre le camp occidental. Un grand congrès international pour protéger le «  camp anti-impérialiste » et les intérêts de l’URSS amène à la création d’un comité de lutte contre la guerre et plusieurs comités régionaux dans la quasi indifférence générale. Suite aux élections de Mussolini et de Hitler, des groupes d’extrême droite fascisants (Action Française, groupe para-militaire Croix de feux, Jeunesse Patriote, Union nationale des anciens combattants, Solidarité Nationale…) ont manifesté en France contre la corruption des hommes d’État socialistes et apparentés avec comme mot d’ordre commun la « révolution nationale ». Selon Faucier, ces collectifs sont financés discrètement par des bourgeoisies et tolérés par des préfets de police. Dans ce contexte, des émeutes ouvrières provoquent des morts et la CGT décrète la grève générale, tout en proposant un congrès unitaire (avec notamment la Ligue des Droits de l’Homme, le Parti Socialiste, l’Union Anarchiste…), sans le Parti Communiste et la CGT – Unitaire. Ces collectifs proclament l’Unité contre le fascisme. Ces tentatives « unitaires » trouvaient des échos à la fois dans des dynamiques procédurales et bureaucratiques et dans des volontés « de la base » de se regrouper contre le fascisme (p.115). Pour contrer l’influence du PC à travers le Front Populaire alors au pouvoir, l’incompatibilité des mandats syndicaux et parlementaires fut décidée. Dans cet élan optimiste en 1936, avec la réunification d’une CGT unique, de nombreuses personnes affluaient vers ces milieux militants et des grèves et occupations d’usines fleurissaient. De quoi voir surgir un mouvement dépassant les figures qui l’encadraient. S’en suivaient les réformes sociales du Front Populaire et les accords de Matignon, des accords syndicaux apparaissant comme des droits à part entière inscrits dans les rapports salariaux. Les grèves s’éternisaient car les patrons rechignaient à signer les accords demandés. Les représentants qui tentaient alors de séduire des classes moyennes proches de l’option fasciste s’empressaient donc d’annoncer des pauses pour apprécier les conquêtes de juin, d’où le fameux : « il faut savoir arrêter une grève dès que satisfaction a été obtenue ».

Dans cet échiquier parlementaire français, la droite se partage entre les financiers, pro-hitlériens, et la bourgeoisie, concentrée sur le marché intérieur et la défense du patrimoine national. Après le Front Populaire il était clair pour les bourgeoisies françaises que le danger communiste était plus dangereux que celui de l’Allemagne d’Hitler. Certains grands dirigeants créèrent même un comité France-Allemagne pour susciter de la sympathie en faveur du régime hitlérien et raffermir des liens entre les deux pays. En 1938, alors que des ligues fascistes dissoutes par décret s’étaient réorganisées dans le Parti Social Français, un Comité Secret d’Action Révolutionnaire (CSAR), surnommé « La Cagoule », a mené des attentats à la bombe aux sièges de deux organisations patronales. L’objectif était de faire croire qu’il s’agissait de l’extrême gauche, notamment le PCF et la CGT. Des perquisitions s’en sont suivi dans plusieurs organisations et du côté de l’extrême droite il y eut « une bonne dizaine » de cache d’armes dans lesquelles étaient engagées des officiers et cadres supérieurs de l’armée. Organisés de manière para-militaire, avec une base administrative de quatre bureaux et d’un service sanitaire, autour d’un projet de guerre civile, comprenant douze généraux en service et le général Pétain lui même, ainsi que des bailleurs de fonds, dont un membre du Comité Central des Armateurs de France et administrateurs de chantiers, ainsi que d’autres bourgeois comme la famille Michelin, un administrateur de l’Union des Mines et des Consommateurs de pétrole, avec de l’argent qui venait des fascistes italiens. Ils avaient à leur disposition un plan des égouts de Paris avec des itinéraires tracés menant aux ministères et à la Chambre des députés, et une liste de parlementaires à prendre en otage. Parmi leurs théories, les hauts fonctionnaires militaires représentaient la raison, et il s’agissait de soumettre « les partis » à celle-ci. Dans leur inculpation d’association armée de malfaiteurs, aucun chef militaire ne fut inquiété, et ceux qui l’étaient furent relâchés pour éviter de se mettre à dos le ministère de la Guerre. Daladier dit lui même au conseil des ministres qu’il en « avait besoin » et qu’il était « impossible de les mettre en cause ».

Le Parti Communiste passe de l’antimilitarisme à une adhésion au militarisme national. Suite au rétablissement du service militaire obligatoire par Hitler en Allemagne, il est renommé Parti Communiste Français et le Secours Rouge International est lui renommé Secours Populaire Français. Leurs partisan.ne.s étaient surnommé.e.s les « nascoms », pour « national-communistes ». Il s’agissant de contrer Hitler sur le mode nationaliste tout en entretenant un sentiment anti-allemand. Cela amenait Maurice Thorez, dans l’Humanité, à en appeler aux « travailleurs catholiques », aux « ouvriers Croix de feu » et aux « volontaires nationaux pour l’union de la nation française plus que jamais nécessaires » (p.130), tout en se faisant garant de l’« économie du pays ». Les chants patriotiques et les hymnes nationaux se trouvaient également réhabilités chez les communistes. Des éléments réformistes des syndicats, en lien avec des staliniens qui soutenaient les propositions de la Défense nationale pour la remilitarisation avaient accepté « la nécessité de la défense nationale » (p.149) et ont pacifié les fortes grèves ouvrières d’alors pour ne pas fragiliser l’« unité nationale ». Plusieurs parlementaires de plusieurs partis de gauche autour du Front Populaire ont négocié des accords avec Hitler pour éviter la guerre. Alors que de nombreuses fédérations syndicales envisageaient d’appeler à la grève générale insurrectionnelle contre la guerre et le fascisme, ceux et celles qui se trouvaient alors au pouvoir étaient en position de collaborer. Par le biais d’Édouard Daladier, des budgets pour favoriser l’armement étaient adoptés et amenaient Léon Blum à « reconnaitre la nécessité de freiner les exigences ouvrières en vue d’intensifier la production des fabrications d’armements » (p.137). Ils ont voté par la suite une loi sur « l’arbitrage obligatoire des conflits sociaux » qui « tendait en fait à supprimer les grèves ». La CGT a également financé à hauteur de 250 000 francs la course à l’armement du gouvernement français en 1937. Après l’une des plus grandes grèves générales, Blum a reconnu que la politique de surarmement ne pouvait se concilier avec les réformes sociales qu’il envisageait. Au moment où la perspective d’une agression allemande, dont la course industrielle à l’armement ne faisait que s’intensifier, les pacifistes et antimilitaristes parvenaient à organiser des réunions en tenant tête à la police. Mais celle-ci parvenait à empêcher toute propagande et évènement public. Alors que les révoltes ouvrières étaient fortement réprimées et que les concessions du Front Populaire étaient du jour au lendemain abandonnées pour financer le réarmement, les effectifs syndicaux ont baissé de 25 à 50 % selon Faucier en 1939. On peut lire dans « Vie ouvrière », organe communiste de la CGT : « La défense nationale est un bloc. Si, pour sauver la paix, il est nécessaire de travailler 45, 50, 60 heures par semaine, cela vaut mieux que d’abandonner les chances de paix qui nous restent encore. » (p.169).


À propos des luttes radicales contre le militarisme

Bien qu’ayant chacun des moyens d’action et de propagande réduits, de nombreux collectifs et individus militant contre la guerre ont existé. Les tracts et brochures de l’anarchiste vulgarisateur et propagandiste Sébastien Faure semblent avoir eu un certain écho auprès du front comme ailleurs. Lors de la première guerre mondiale, il anime notamment le journal « Ce qu’il faut dire » qui deviendra par la suite « CQFD » pour la propagande antimilitariste. Ce n’était pas le cas de tous les anarchistes influents de l’époque. Le groupe des « Temps Nouveaux » (comprenant Charles Malato, Jean Grave et Pierre Kropotkine) se sont par exemple déclarés favorables à la guerre, selon l’idée qu’il fallait défendre la France comme nation portée par l’idée de révolution contre une nation allemande qui serait réactionnaire, ce qu’a dénoncé Errico Malatesta, comme bien d’autres, en les qualifiant d’« anarchistes de gouvernement ». Personne populaire, Sébastien Faure était également un pédocriminel trop peu souvent attaqué au sein des milieux anarchistes* https://www.unioncommunistelibertaire.org/1917-1921-Et-la-pedocriminalite-fit-chuter-Sebastien-Faure . Ces affaires l’ont amené à prendre plus de distance avec les milieux activistes et à se vouer à de la propagande écrite, antimilitariste notamment. C’est notamment le cas de la brochure “Nous voulons la paix” en 1926 qui part des hypocrisies du pacifisme d’État de la Société des Nations et flatte l’importance de l’armée française et la puissance de ce pays pour inciter les gouvernant.e.s à montrer l’exemple en termes de désarmement. Il proposait également de dupliquer l’initiative en reprenant son texte-type ailleurs et s’attendait à ce que les organisations syndicales la supportent par la grève générale dans les industries de l’armement.

Dans le champ de la « désobéissance civile », il y eut la « Ligue de la reconnaissance de l’objection de conscience » sur l’initiative du journal « Le Semeur » de «  culture individuelle pacifiste et libertaire » qui militait pour une reconnaissance par l’État du choix de ne pas vouloir faire la guerre. Beaucoup d’anarchistes critiquaient cette solution car ne remettant pas en cause « la société capitaliste qu’elle contribuait ainsi à pérenniser » (p.55). Pour autant, certain.e.s de ces anarchistes critiques pouvaient faire des grèves de la faim pour la reconnaissance de leur propre objection de conscience pendant la seconde guerre mondiale et beaucoup reconnaissaient son importance pour conserver dans l’activisme des militant.e.s « essentiel.le.s ». En France, l’Union Anarchiste à peine reconstituée faisait campagne pour la révolte armée et pour la fraternisation avec les révolutionnaires de tous les pays, au soutien à la révolution russe, et appelait à garder ses armes pour sa propre libération. Ils et elles avaient également appelé les travailleurs des transport à boycotter les transports d’armements à destination de la contre-révolution en Russie.

Après la première guerre mondiale, les Internationales communistes et syndicales se sont enfermées publiquement dans le réformisme et l’une d’elle est devenue le relais du Kremlin, de la propagande communiste activée depuis la révolution bolchevique. Dans ce contexte, l’Association Internationale des Travailleurs (AIT), première et principale internationale anarchiste fondée en 1864, a proposé d’autres discussions, réaffirmant la nécessité de la lutte des classes et condamnant les autres Internationales. Si son influence a inspiré les personnes qui partageaient des complicités anarchistes à travers le monde, dans la pratique ses activités restaient réduites à des congrès, à des réunions de représentant.e.s internationaux et à des communiqués. Avec l’Association Internationale Anarchiste, elle a dénoncé l’hypocrisie du désarmement par les pays occidentaux dans des congrès en 1922, 1923, 1925, 1928, 1931, 1935 et en 1937. Selon Faucier, son existence était « appréciable » mais « très limitée » et par la suite «  végétative ».

Il évoque également l’Association Internationale Antimilitariste née de l’initiative d’anarchistes hollandais, suite à l’appel de Domela Nieuwenhuis en 1904, ouverte « à tous les antimilitaristes sans distinction d’école, sous condition de coopérer, le cas échéant, à l’action insurrectionnelle préconisée par l’Association ». Malgré cette ouverture, elle sera boycottée par les représentant.e.s des partis et réformistes et a regroupé surtout des anarchistes et anarcho-syndicalistes. Cette organisation a permis la création et la diffusion de nombreux tracts, brochures, journaux, meetings et la création de groupes à beaucoup d’endroits. En 1905, Faucier évoque 93 sections et 5500 adhérent.e.s. L’une de leurs affiches invitant chaque soldat à retourner leur fusil contre ceux qui leur donnent l’ordre de tirer leur valut une forte répression par des peines de prison notamment. Selon Faucier : « Le résultat de toute cette agitation prouvait qu’elle avait porté ses fruits, ainsi que le démontrent les chiffres suivants : de 5991 déserteurs ou insoumis, en 1902, leur nombre se trouvait porté à 14067 en 1907 et atteignit 12000 à 13000 par année jusqu’en 1912 ». Au 31 décembre 1911, les déserteurs et insoumi.e.s recherché.e.s par la police étaient de 76723. Après la première boucherie, leur activité a repris par un congrès en 1921 pour profiter de la création nouvelle de nombreux collectifs antimilitaristes pour les regrouper. Leurs activités officielles consistaient par la suite à condamner les terreurs contre-révolutionnaires suite à l’écrasement de la commune de Cronstadt, les dévastations des Bourses du Travail, Maisons du Peuple et sièges des organisations ouvrières sous des régimes fascistes et les persécutions des militants en général. Ils et elles ont également dénoncé l’influence de la « révolution trahie de l’Est » et les influences moscoutaires, ainsi que les stratégies des collectifs antifascistes qui se rattachaient à leurs organisations dans le cadre d’une stratégie « campiste » ou « unitaire » (p.89).

La guerre d’Espagne à partir de 1936 a suscité des engouements dans les milieux ouvriers en même temps qu’elle a soulevé des contradictions au sein des mobilisations « anti-militaristes » et «  anti-fascistes ». Pour rappel des évènements, des militaires fascistes dirigés par Franco ont tenté de provoquer un coup d’État, appuyée par les bourgeoisies espagnoles et les réseaux catholiques qui ont longtemps voulu encadrer le pays, dans un contexte où les révoltes et les initiatives qui débordent le salariat et l’État prolifèrent et où l’anarchisme a une certaine sympathie chez les plus pauvres. Contre ces offensives, des personnes qui se sont préparé.e.s à la lutte armée et des personnes qui choisissent de se défendre spontanément (notamment via la Confédération Nationale des Travailleurs [CNT] ou la Fédération Anarchiste Ibérique [FAI]) érigent des barricades, se réunissent pour s’organiser et cherchent des armes pour y résister. Elles ont réussi, notamment à Barcelone avant que l’élan de contre-offensive se diffuse, à approfondir la confiance des personnes elles-mêmes à mettre en échec des militaires professionnels par des moyens appris depuis les luttes, des solidarités quotidiennes et/ou des organisations anarchistes. Alors que dans le même temps, le gouvernement et les armées qui lui sont restées fidèles se sont montrées impuissantes à réagir.

Depuis la France (comme ailleurs), la solidarité s’est organisée de part et d’autres pour démontrer un soutien symbolique et matériel (par l’envoi de vivres, de médicaments, d’armes…), souvent via des militant.e.s exilé.e.s espagnol.e.s, italien.ne.s et allemand.e.s qui avaient l’habitude de voyager et de lutter à travers les frontières nationales contre les fascismes (qu’ils et elles avaient souvent connu dans leur pays d’origine). De nombreuses affiches affirmaient un soutien à la révolution espagnole. Un comité pour l’Espagne libre fut créé du côté de l’Union Anarchiste qui a organisé du soutien et le ravitaillement en armes rudimentaires (camouflées en étant enroulées dans des colis de vêtements et de médicaments et transportées en camion), véhicules et autres, via des complicités avec des dockers ou l’Union des syndicats de la Seine et des liaisons avec la CNT et FAI espagnoles. Ce Comité est devenu la section française de la Solidarité Internationale Antifasciste et a mené une campagne contre la non-intervention du gouvernement français dans ce conflit (alors que le Front Populaire était au pouvoir). Léon Blum a décidé dans un premier temps l’aide militaire mais a subi les pressions de la droite et du gouvernement britannique qui craignait pour ses intérêts miniers et ferroviaires en Espagne et menaçait de non-protection en cas d’attaques du gouvernement allemand contre la France. Dans le même temps, les États fascistes italiens et allemands soutenaient les militaires fascistes déjà équipés. Au fur et à mesure du conflit, la guérilla anarchiste espagnole organisée via la CNT et la FAI avec une attention à l’appropriation populaire de ces résistances, pour des nécessités d’approvisionnement en armes et de coordination des actions, s’est centralisé de plus en plus et a fini par échouer alors que les armées allemandes et italiennes ont rejoint les fascistes de Franco dans ce combat. Les organisations communistes internationales ont même participé à tuer des groupes de guérilla anarchistes, voyant d’un mauvais œil leurs principes (plus ou moins) intransigeants contre l’autoritarisme, et alors que les variantes les plus centralisées de ces réseaux ont refusé de soutenir également ces contre-offensives « populaires ». Selon Faucier, cette guerre civile espagnole rappelait aux partisan.ne.s absolu.e.s de la non-violence leurs contradictions, lorsqu’ils et elles soutenaient une politique de non-intervention. En assimilant ces résistances à leur violence, ces non-violent.e.s acceptaient implicitement les interventions des armées fascistes, alors que dans le même temps un blocus italo-allemand empêchait de ravitailler les populations en résistance. Faucier regrette l’«  activité réduite » des collectifs de solidarité auxquels il a participé.

Depuis la France, Faucier assume s’être engagé plutôt contre l’antifascisme « belliqueux » et avoir essayé de « l’endiguer » (p.148), comme beaucoup d’autres anarcho-syndicalistes. Avant l’annonce de la guerre, cet engagement consistait à s’engager du côté des éléments révolutionnaires qui ont créé un Centre Syndical d’Action contre la Guerre, avec des antennes dans chaque département. Par ce biais s’organisait de la propagande contre la guerre et pour l’unité nationale et des conférences et réunions publiques à partir de l’été 1938. Ils et elles revendiquaient un partage des ressources « nécessaires à la vie », un arrêt de la course à l’armement et une grève générale préventive avec l’action directe comme perspective : « Seule l’action directe des prolétariats fera la paix du monde.  ». Il évoque de nombreuses revues, collectifs et actions, parfois plus radicales sur la question de l’unité, mais qui agissaient selon dans l’« éparpillement ». Les initiatives anti-militaristes les plus combatives dont il rend compte ont été selon lui trop exposées à la répression, avec amendes et peines de prison. Constamment dans son récit, il en fait état tout en les qualifiant de « sporadiques et dispersées dans lesquelles chaque mouvement, se voulant seul détenteur de la vérité, oeuvrait pour son propre compte, recherchant surtout des partisans ». Pourtant, celui-ci ne rend pas compte de toutes les divergences qu’il portait avec les anarchistes et antifascistes les plus intransigeants. Il n’évoque par exemple à aucun moment l’incendie du Reischtag en 1933 en Allemagne par le conseilliste hollandais Marinus Van der Lubbe. Ce dernier avait incendié le Reischtag dans l’optique de susciter un engouement parmi les masses socialistes allemandes qui restaient impuissantes à la montée au pouvoir d’Hitler et des nazi.e.s. Il a été interpellé dans sa fuite et son procès fut un prétexte pour Hitler de légitimer la terreur imposée aux milieux de gauche en Allemagne. Dans la majorité des milieux antifascistes (anarchistes compris), français notamment, beaucoup l’ont délégitimé lui ainsi que ses actes, il était accusé d’être un provocateur, un marginal homosexuel ou encore ou un agent nazi ayant agi pour précipiter l’imposition de la Terreur. Les organisations dont faisait partie Faucier soutenaient cette thèse, se désolidarisant ainsi de son acte, à l’inverse d’autres anarchistes comme ceux et celles qui animaient les revues Le Semeur et Terre Libre, relayant des témoignages de conseillistes et anarchistes hollandais qui évoquaient la sincérité de l’acte de Van der Lubbe et la personne qu’il était. Si ses volontés de propager une insurrection généralisée parmi les populations allemandes opposées au fascisme étaient vraisemblablement une projection en décalage avec les sentiments des populations, ce n’était en aucun cas un complot orchestré par les nazi.e.s. Peut être qu’à l’inverse, les populations allemandes de l’époque étaient manipulées pour servir le nazisme et n’existaient pas autrement que comme des identités impersonnelles dans un gigantesque spectacle orchestré par les bourgeoisies et les marchands d’armes...

Pour approfondir sur l’histoire de Marinus Van der Lubbe :
- Les nombreux articles (notamment depuis Le Semeur) en soutien à Van der Lubbe répertoriés dans ce dossier d’archives : https://www.archivesautonomies.org/spip.php?rubrique686
- Cet Extrait du journal hollandais Spartacus, organe de l’opposition ouvrière de gauche, visiblement des gens qui le connaissaient et l’appréciaient : https://www.archivesautonomies.org/spip.php?article5227
- Le récent livre très documenté, légitime et sérieux d’un N’Historien (Miguel Chueca) aux éditions L’Échappée : https://www.lechappee.org/collections/dans-le-feu-de-action/la-fabrique-du-complot

Quelques informations sur la « révolution spartakiste » :

Un engouement révolutionnaire déborde les organisations représentatives par la naissance de conseils ouvriers auto-organisés, et proclame le remplacement de l’Empire allemand par la République des conseils. Des représentant.e.s communistes étaient plus ou moins favorables à cette « spontanéité » du « prolétariat » allemand et ont donné naissance à la Ligue Spartakiste et tenté à la suite de plusieurs conférences de composer un programme à même de perpétuer cet élan révolutionnaire. Ces discussions entre délégué.e.s ont amené à la constitution du Parti Communiste Allemand, qui a ensuite scissionné avec la création d’un Parti Communiste anti-parlementariste et insurrectionnel, représenté notamment par Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg. Leur influence a pesé en faveur des insurrections de janvier 2019 à Berlin. Celles-ci furent écrasées par un président socialiste qui organisa la répression avec le reste de l’armée et des “corps-francs” monarchistes. Cette répression était soutenue par l’ensemble des armées alliées qui attendaient leur écrasement pour mettre en place les conditions du traité de Versailles. La dimension insurrectionnelle très forte de ce mouvement, directement héritée des traumatismes de la guerre, a isolé les révolté.e.s des autres parties de la population, qui pour beaucoup voulaient la fin des combats mortels ou encore le retour à l’ordre établi. Ce mouvement aurait peu approfondi la perspective de l’abolition du salariat.

Pour approfondir :
- L’article « L’ordre règne en Allemagne. Le bilan de douze ans de bolchevisation du prolétariat allemand » écrit en 1933 par André Prudhommeaux disponible dans le livre « Un anarchisme hors norme » aux éditions Tumult.https://tumult.noblogs.org/livres/
- Le livre « Spartacus et commune de Berlin (1918-1919) » d’André et Dori Prudhommeaux édité aux Cahiers Spartacus

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