Le journaliste fantôme (4:50min), extrait du documentaire « Complément d’enquête – Quand nos poubelles débordent » (France 2, 1h10, octobre 2023) sur les déchets nucléaires.
Pendant 6 ans, ce journaliste a écrit environ 200 articles dictés par les industriels de l’atome.
« Mon travail, c’était de transformer des éléments de communication en articles journalistiques ».
Des éléments de langage qui vantent le « cycle fermé » du combustible et les mérites du recyclage. Par exemple : « Axer sur le fait que la France est pionnière dans le recyclage des déchets nucléaires depuis plus de 50 ans, que ces déchets vont de plus pouvoir être réutilisés ».
Impossible de savoir que derrière ces articles se cache la commande d’un industriel.
En janvier 2022, il témoigne anonymement dans un épisode de « Complément d’enquête » consacré à EDF. Devant les caméras, il raconte avoir écrit « une bonne centaine d’articles » pour le géant de l’électricité, soit afin de promouvoir son rôle et ses services, soit afin de dénigrer des sociétés concurrentes. « Je travaillais sur les activités de lobbying d’EDF et j’ai découvert que l’entreprise utilisait de fausses publications en ligne pour faire sa promotion ».
Mais à l’époque, le caractère exceptionnel de ces révélations, restreintes à EDF, reste sans lendemain médiatique.
C’est finalement son récit à la première personne – sous le pseudonyme de Julien Fomenta Rosat –, confié cette fois au journal Fakir et publié en mai 2022, qui met le feu aux poudres. « Tantôt consultant en économie, experte en géopolitique de l’énergie, journaliste écrivain gabonais », le rédacteur écrit pendant six ans, sur commande, pour le compte d’une agence de communication dont il ne connaît que le(s) nom(s) : Public relations agency, ou MM pour Maelstrom media. Au fil des ans, il découvre que ses productions sont publiées sur des sites d’information, plus ou moins complaisants, ou sur les espaces ouverts aux contributions de Mediapart, du Huffington Post ou des Échos. Parfois, il retrouve accolé à son travail le nom d’une personnalité politique ou d’un dirigeant d’entreprise. Mais, le plus souvent, ces articles sont signés par de faux profils créés sur mesure.
Rémunéré près de 60 euros par article, à raison de deux textes par semaine, il est ensuite augmenté à 110 euros. Pour un article écrit en urgence ou pour une tribune, « ça peut aller jusqu’à 200 euros », écrit-il. Il peut, un jour, « servir la soupe » à Ali Bongo, dirigeant autoritaire du Gabon et, le lendemain, défendre la sûreté des compteurs Linky. Mais, lorsqu’il doit écrire pour défendre l’utilisation de glyphosate, puis plus tard, lorsqu’on lui commande un article pour « dézinguer » François Ruffin, le rédacteur craque sous le poids de la culpabilité et décide de témoigner. Et fait une découverte : derrière son employeur se cache en réalité la « société d’intelligence économique » Avisa partners.
Plus d’informations :
– Fakir – Moi, journaliste fantôme au service des lobbies (juin 2022)
Extrait : « Un incendie à la centrale nucléaire de Flamanville, en Normandie, fait les gros titres dans les médias ? On me commande en urgence une série d’articles pour souligner la sûreté des installations nucléaires en France, la rigueur des contrôles et la fiabilité de la sous traitance. Comme un pompier qu’on appelle pour éteindre l’incendie. »
– Arrêt sur images – Avisa Partners dans les coulisses d’une bombe médiatique (juillet 2022)
– Blast – Lobbying, manipulation de l’info : révélations d’un journaliste indépendant (juillet 2022)
– Radio France – Avisa Partners : la manipulation de l’information made in France (septembre 2023)
– Wikipedia – Avisa Partners (consulté en mars 2024)
Extrait : Parmi les clients privés de l’agence figurent ou ont figuré Air France, EDF, LVMH, Vivarte, Uber, des cigarettiers, les JO de Tokyo, le projet Cigéo de Bure, Rusal ou encore PDVSA. Les enquêtes ont établi que des États travaillaient également avec celle-ci, comme Bahreïn, l’Inde, le gouvernement français, la Côte d’Ivoire, le Qatar (au bénéfice de la Coupe du monde de football 2022).