Et pour quelques poignées de radiations de plus…

Sur la nouvelle (encore) réforme du chômage...

Dans une brochure récente, était évoquée "la guerre aux pauvres", c’est-à-dire les attaques sur tous les fronts menés au nom de la bonne marche du capitalisme. Faire de l’argent, toujours plus d’argent, et surtout occuper les gens à des activités insensées pour ne pas penser à l’absurdité du monde dans lequel nous sommes plongés.

La planète est un immense camp de travail. De par le monde, des salariés fabriquent des marchandises pour que d’autres gagnent de l’argent, une armée de contrôleurs et contrôleuses vérifient leur travail pendant que d’autres s’ingénient à découvrir de nouvelles marchandises qui seront vendues bientôt comme de nouveaux besoins nécessaires. Il y en a même qui s’évertuent à trouver comment les marchandises vont s’user ou s’abîmer le plus vite possible pour justifier encore plus de travail pour certains et certaines et encore plus d’argent pour d’autres. Même les loisirs sont devenus un travail comme les autres, envahis par la loi du rendement et l’obsession du calcul (en premier lieu du temps). Il suffit de voir un car de touristes faire une pause photo dans n’importe quel endroit jugé typique sur le trajet des tour-operators…

Toute activité s’est réduite à du travail. Il faut dire que l’apprentissage commence tôt : dès les bancs de l’école, cette usine à fabriquer des travailleurs et travailleuses. L’ébullition de l’imagination et le mouvement spontané vers l’aventure et la curiosité des gosses sont rigoureusement asséchés à coups de règlements, de sonneries tonitruantes et d’une cadence basée sur le rythme de l’usine ou du travail de bureau.

Le fait même de ne pas travailler – et donc d’être chômeur ou chômeuse – s’est converti en travail pénible et mal-payé. Comme il était dit dans « La guerre aux pauvres » au sujet des dernières réformes concernant l’emploi et le chômage : « nos vies seront encore plus réduites à un rouage interchangeable de l’économie. Nos rêves, nos passions, nos fragilités ne comptent pas, et nos vies peuvent être broyées pour les profits de quelques-uns et unes ».

Le gouvernement Macron aura fait preuve de zèle sur ce sujet – certes comme sur beaucoup d’autres. La mise au pas des individu-es passe par des tours de vis supplémentaires réguliers. Les réformes sur le chômage se sont ainsi accumulées presqu’aussi vite que les profits du CAC 40. L’UNEDIC (chargée de l’assurance chômage) est même devenue une pompe à fric redistribué dans l’aide aux entreprises. Depuis 2019, des milliards d’euros sont ainsi détournés de cette caisse d’assurances, financée par chaque salarié et jusque-là gérée par les partenaires sociaux, pour financer les politiques pro-patronales du gouvernement. On appelle ça du vol, tout simplement.

La grande réforme du chômage de 2019 n’était qu’une mise en bouche, elle qui a appauvri des centaines de milliers d’exploité-es, en particulier les personnes passant d’un contrat précaire à l’autre (intérimaires, saisonniers, chargé-es de mission, etc.). Toutes celles et ceux qui essayaient de trouver un chemin digne pour se libérer de temps en temps des chaînes du travail en faisant autre chose, ou tout simplement les moins employables aux yeux d’un patronat réclamant de la chair à usine et à bureau, se sont retrouvés avec des allocs en baisse pour une durée moins longue. Les chiffres du chômage sont bons, déclament gouvernants et chroniqueurs médiatiques : normal, une bonne partie des chômeurs et chômeuses ont été radiés ou n’ont tout simplement plus le droit au chômage… C’est ensuite les RSAstes qui se retrouvent obligés de travailler 15 heures hebdomadaires pour une misère. Le gouvernement a ainsi rétabli le travail obligatoire et une nouvelle dérogation au SMIC horaire – qui se verra d’autant plus mis à mal. Sans parler du fait qu’en même temps que des facilités au licenciement sont généreusement permises au patronat pour licencier, il devient quasi-impossible de démissionner pour les salariés. Quitter un emploi qui n’a plus de sens, qui est devenu insupportable pour des tas de raisons possibles, devient toujours plus un parcours du combattant. Rappelons au passage que les conditions de travail sont déplorables, tout particulièrement dans nos contrées : selon l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, le nombre d’accidents de travail en France est reparti à la hausse entre 2013 et 2019, principalement chez les femmes ; l’Assurance maladie relève 738 décès au travail en France en 2022, des chiffres eux-aussi en augmentation et qui font de la France l’un des pires élèves en Europe ; d’après Eurostat, 40 millions de salariés en Europe seraient affectés par des Troubles Musculo-Squelettiques, et le chiffre est en constante augmentation depuis l’intensification du travail instaurée par les nouvelles organisations du travail des années 1980 et 1990. Le travail tue et est mauvais pour la santé.

Mais toutes ces réformes ne sont pas suffisantes pour celles et ceux qui sont engagés dans une guerre aux pauvres tous azimuts. Une nouvelle réforme sur le chômage est dans les cartons et s’annonce saignante (prévue pour décembre 2024) : nouvelle baisse des allocs, nouvelle baisse de la durée d’indemnisation, plus de difficultés pour ouvrir des droits au chômage. La messe est dite : nouveau tour de vis et des centaines de milliers de personnes bientôt sur la paille. L’objectif de mise au pas est même assez clairement affiché : le gouvernement n’espère pas plus de 90 000 personnes supplémentaires en emploi par cette réforme, ce qui revient à dire une goutte d’eau. Il ne s’agit pas de créer de l’emploi – ritournelle habituelle des fanatiques du travail et du capital – mais juste de faire des économies et de faire en sorte que les gens comprennent que ce ne sont que des pions pour l’économie, qui doivent accepter n’importe quel boulot. La crise sanitaire récente avait pourtant montré à quel point l’essentiel des activités de nos sociétés capitalistes et industrielles n’avait aucune utilité sociale…

Comparons donc le changement en quelques années : avant 2019, nous pouvions ouvrir des droits au chômage après avoir travaillé 4 mois sur les 28 derniers mois, et les droits au chômage pouvaient aller jusqu’à 24 mois d’indemnisation au maximum. Après la nouvelle réforme, vous pourrez ouvrir des droits après avoir travaillé 8 mois sur les 20 derniers mois, et les droits seront de 15 mois maximum – et encore ! si le taux de chômage descend en-dessous de 6,5 % (vous l’aurez compris, en rendant impossible l’accession au chômage pour des tas de gens), ce sera 12 mois. Les nouvelles modalités de calcul de l’indemnité les ont en même temps fait baisser. Et pour parachever l’escroquerie organisée, l’indemnité journalière se calcule désormais sur 30 jours chaque mois, même les mois à 31 jours. Il n’y a pas de petites économies… Il faut donc cotiser plus longtemps pour être moins indemnisé. Rarement on aura vu régression de droits sociaux aussi rapides !

Cerise sur le gâteau de l’exploitation, le pouvoir en place augmente de 53 à 57 ans la possibilité d’avoir des périodes d’indemnisation plus longues. Plus longues, mais raccourcies, puisqu’elles passent de 27 mois à 22 mois. Mais rassurons-nous : les caciques qui nous dirigent ont créé un « bonus emploi senior », qui consiste en une incitation aux entreprises à payer moins cher, à savoir un complément de revenu pendant un an au senior qui aurait accepté un emploi à salaire inférieur par rapport à celui qu’il avait avant. Les entreprises pourront donc continuer à jeter leurs employés à 50 ans et en récupérer quelques-uns et unes à moindre coût quelques années après. Le capitalisme dans toute sa vile splendeur !

On se dit parfois qu’un tel tour de vis ne pourra pas passer sans susciter une grande révolte. On se met à rêver qu’une explosion comme celle de 2018, non pas pour une augmentation du prix de l’essence, mais pour un durcissement direct de l’exploitation, pourrait bien avoir lieu. Hélas ! Les discours sur ces « feignasses » de chômeurs et chômeuses et ces « assisté-es » de RSAstes se sont bel et bien imposés (souvent en parallèle de ceux sur « les immigré-es qui volent le travail »), y compris dans les fractions les plus vulnérables des populations. Mais qu’importe ! Il existe d’autres voies que celles des grandes luttes sociales « de masse », celles des résistances obstinées, des solidarités et des actions affinitaires, des gestes individuels. Après tout, il n’y a pas de dignité dans le travail – contrairement à ce que voudraient nous faire croire les fanatiques de la négociation de la longueur des chaînes. La seule dignité se trouve dans la révolte sans concessions. Vive le feu !

Un va-nu-pieds

A lire aussi...