D’autres textes d’époque contre le Front Populaire (Terre Libre)

Ça m’étonne de voir des militant.e.s d’habitude prompt.e.s au modernisme (genre « nous avons des solutions innovantes pour les luttes d’aujourd’hui » sans jamais parler de l’histoire des luttes, de leurs inspirations, de leurs limites...) cultiver soudainement la nostalgie du Front Populaire. Ça me ronge d’autant plus que cette stratégie peut participer d’autant plus à préparer le nationalisme français à préparer l’obéissance pour les guerres à venir et à canalyser les luttes émancipatrices dans un idéal d’étatisation comme l’a été le Front Populaire de 1936. Les « acquis sociaux » du Front Populaire sont justement les bases sur lesquelles le capitalisme de la seconde moitié du 20e en Europe a pacifié la société et les perspectives révolutionnaires par la consommation de masse et la protection sociale d’État, nous rendant dépendant.e.s de l’ordre établi. Raison de plus pour ressortir des textes anarchistes d’époque et raviver des traditions révolutionnaires qui manquent. Dans tous les cas, ce sont les industriels et les militaires, nécessaires à l’ordre capitaliste, qui tirent les ficelles.
Certaines formules peuvent être problématiques. Pour autant j’ai fais le choix de ne pas les supprimer pour conserver le texte d’origine.

Sources : https://archivesautonomies.org/

Sommaire :
1 : « L’envers de la politique » (Terre Libre N°3 - Juillet 1934)
2 : « »Front populaire« égale : Front national » (Terre Libre N°16 - Août 1935)
3 : « Editorial : Revalorisation ou expropriation - Pour en finir avec le capitalisme d’Etat, etc. - A. P. » (Terre Libre N°18 - Octobre 1935)
4 : « Le Front Populaire mène à tout » (Terre Libre N°29 - Février 1937)
5 : « Front populaire... Corporatisme - Sanzy » (Terre Libre N°31 Mai 1937)
6 : « De la lutte révolutionnaire à l’Union sacrée antifasciste – Attruia » (Terre Libre N°45 – 28 Janvier 1938 et Terre Libre N°46 – 11 Février 1938)

1 : L’envers de la politique
Terre Libre N°3 - Juillet 1934

2 : « Front populaire » égale : Front national – Terre Libre
Terre Libre N°16 - Août 1935

« En tête du cortège figureront le drapeau tricolore pris comme emblème des traditions révolutionnaires française... »

(Humanité, du 29 Juin 1935)

Révolution prolétarienne d’une part, guerre et fascisme de l’autre, telles sont les alternatives inéluctables où se trouve acculée la société aujourd’hui.

Opposer la révolution prolétarienne à l’agonie irrémédiable du système démocratique bourgeois, au fascisme et à la guerre, telle est la ligne directrice invariable pour les révolutionnaires conséquents.

Mais les partis ouvriers actuels posent autrement le problème : « Renoncez au fascisme, demandent-ils à la bourgeoisie, et nous renonçons à la révolution. »

Ils abandonnent alors plus ou moins ouvertement leur programme primitif et ne cherchent plus de solution que dans le maintien à tout prix du régime démocratique bourgeois, qui pourtant, parce que capitaliste, prépare la guerre et laissera la voie libre au fascisme.

Les avantages démocratiques, qui sont l’objectif suprême du Front Populaire, ne résident exclusivement, que dans la possibilité qu’a aujourd’hui la classe ouvrière de les utiliser pour ses buts révolutionnaires en les défendant par la lutte armée.

Mais le Front Populaire refuse la lutte armée, et les milices ouvrières. Il met toute sa confiance dans les délégations suppliantes auprès des ministres et préfets.

La « délégation permanente » des parlementaires et anciens ministres de gauche, devient l’état-major de la soi-disant « lutte antifasciste. »

Daladier et Pierre Cot sont, aux côtés de Maurice Thorez, les leaders applaudis du Front Populaire, ceux que l’Humanité du 7 février 1934 voulait mettre « au poteau », traitait de « fusilleurs », et qui n’étaient et ne sont que bourgeois peureux, prêts à laisser place, « dans l’intérêt de la nation », aux troupes et au gouvernement de La Rocque-Doumergue.

Le Front Populaire a pour ligne directrice, la peur du fascisme. Et le grand capitalisme agite cet épouvantail pour amener au service de sa politique les radicaux ainsi que les partis ouvriers qui se déclarent prêts à soutenir ou à constituer un ministère traître de défense républicaine. Préparer, par l’union sacrée, la guerre baptisée « démocratique » et « anti-hitlérienne », imposer aux travailleurs des mesures de déflation et plus tard de dévaluation, c’est dans ce but que la bourgeoisie entend utiliser le Front Populaire et peut-être le porter au gouvernement.

Et c’est par un tel discrédit des partis ouvriers qu’elle facilitera la propagande de masse du fascisme et son avènement au pouvoir.

Les couches travailleuses, surexploitées et affamées par la crise, cherchent une issue, votent à gauche en masse, et croient trouver un libérateur dans le Front Populaire qui, sous la direction des bourgeois de gauche à la Herriot-Daladier, les conduit à la capitulation, à la guerre et les paralyse devant le fascisme.

QUE FAIRE ALORS ? COMMENT REAGIR ?

En dénonçant la duperie du Front Populaire !

En dénonçant les délégations diplomatiques des gauches, les manifestations tricolores.

En organisant, par contre, des équipes ouvrières armées et autonomes pour écraser les équipes fascistes.

En opposant au Front Populaire électoraliste, parlementaire et gouvernemental, des Comités de travailleurs décidés à l’action directe.

En organisant sur le terrain syndicaliste une minorité révolutionnaire capable d’impulser et diriger les luttes grévistes à venir.

En maintenant face à Staline et à Blum-Zyromsky la lutte révolutionnaire dans notre propre pays !

TERRE LIBRE [1]

Notes

[1] Le présent appel, sauf modifications des quatre derniers paragraphes est la reproduction d’un manifeste de l’Union Communiste, 10, rue Juillet, Paris 20e.

3 : Editorial : Revalorisation ou expropriation - Pour en finir avec le capitalisme d’Etat, etc. - A. P.
Terre Libre N°18 - Octobre 1935

Revalorisation ou Expropriation

Il n’est bruit en ce moment que des exploits du Comte Dorgères et de ses chemises vertes.

Les gros bonnets du « Front Paysan » ne se contentent pas d’asseoir des fortunes sur l’exploitation économique des travailleurs de la terre. Il ne leur suffit pas de percevoir fermages, redevances et corvées ; d’embaucher à des salaires de misère une main-d’œuvre qu’ils envoient crever sur la route sitôt la récolte passée ; de se faire intermédiaires d’achat ou de vente, régulateurs des cours à leur profits, usuriers, marchands d’engrais, etc. Il leur faut encore poursuivre l’exploitation politique de la paysannerie, obtenir d’elle le soutien de toutes les œuvres d’abrutissement (églises, patronages, écoles chrétiennes), en tirer des voix aux élections, des sièges au parlement, une influence dont ils pourront trafiquer à leur profit, des équipes de chiens de gardes volontaires pour défendre leurs propriétés et leurs châteaux, des équipes de choc pour mener la chasse à l’instituteur révolutionnaire, au prolétaire conscient etc. pour le compte du maître et du curé.

En un mot, M. M. Dorgères et sa compagnie entendent être servis non seulement pendant les heures de travail, mais nuit et jour. Il leur faut des « fourches » paysannes pour battre les fossés et empêcher de chanter les grenouilles du « Front Populaire » dont les croassements pourraient troubler leur sommeil. Et tout cela, ils le paient en promesses, en paroles, en boniments que l’Etat sera chargé, paraît-il, de transformer en réalités... Pour cela, le « Front Paysan » exige du gouvernement la « revalorisation » des produits agricoles.

Qu’est-ce que la revalorisation ? C’est la vie chère organisée. C’est le pain à quatre francs le kilo, le lait à trois francs le litre, le vin à trente sous la chopine, et ainsi de suite. C’est la hausse des prix à 300, 400% au-dessus des prix mondiaux. Résultat ? La misère installée à chaque foyer, non seulement d’ouvrier, mais de paysan travailleur, de métayer, de vigneron, etc. Le paysan achètera très cher sa nourriture et ne vendra guère mieux sa récolte. Tout le profit ira dans les coffres des gros : minotiers, spéculateurs, marchands de terre. Seul vivra, à peu près bien, le paysan qui produit tout lui-même, ne vend presque rien, et n’achète presque pas aux boutiques. Celui-là, d’ailleurs, se tirerait aussi bien d’affaire si les prix tombaient à zéro. Mais, il n’est plus, malheureusement, qu’une exception. L’exploitation capitaliste a forcé le cultivateur ou le vigneron à se spécialiser ; il achète presque toute sa nourriture, et sera la première victime du renchérissement. Par contre, le gros propriétaire, en maintenant les salaires à l’ancien tarif, verrait s’améliorer ses affaires, ses bénéfices s’accumuler et son domaine s’étendre. Qu’importe à M. Dorgères le prix du pain qu’il mange : il n’a pas à suer pour le gagner, et passerait-il vingt-quatre heures par jour à ingurgiter du champagne et des truffes en joyeuse compagnie, qu’il n’en serait pas moins riche au bout de l’an ! La seule chose qu’il craigne, et la seule chose qui puisse rendre le paysan libre et heureux, c’est la reprise des terres accaparées par les parasites sociaux, c’est l’expropriation paysanne !

Pour en finir avec le Capitalisme et l’Etat

« Diviser pour régner » est la devise des politiciens. Le capitalisme ne vit que de l’opposition entre la ville et la campagne.

En réalité, quiconque propose la revalorisation au paysan travailleur comme moyen de salut économique, cherche tout simplement à le rouler au profit des gros bonnets, des intermédiaires et des politiciens, tout en l’opposant à l’ouvrier des villes afin d’éviter la révolution. Or, justement, l’ouvrier et le paysan ne peuvent se sauver de la misère, de l’esclavage et de la guerre qu’en supprimant leurs propres exploiteurs et en travaillant sans intermédiaires ni propriétaires, chacun pour tous et tous pour chacun. L’ennemi commun c’est l’Etat, et le Capitalisme, et c’est ce que ne veulent admettre ni les politiciens de droite groupés dans le Front Paysan, ni ceux de gauche, qu’ils soient radicaux, socialistes ou « communistes ».

Le « Front paysan » prétend bien combattre l’Etat par le boycott de l’impôt, mais seulement pour s’opposer aux gouvernements républicains ou socialistes, les mettre en difficulté et les remplacer par un gouvernement de hobereaux et de curés, qu’il faudra alors payer rubis sur l’ongle. Il prétend aussi être l’ennemi d’un certain capitalisme bancaire, cosmopolite, impérialiste, qu’il appelle le « gros capitalisme ». Ce mauvais capitalisme-là, M. M. Dorgères et Cie prétendent le supprimer pour le remplacer par celui des châteaux, des grands moulins, des sucreries et des nitrates. Tout cela est fort bien dit, mais le capitalisme impérialiste n’est pas une pièce détachable qu’on puisse séparer du capitalisme en général comme on change une roue à une charrette. Le « gros » capitalisme impérialiste et bancaire est le produit naturel du développement d’une maladie sociale qui s’appelle le capitalisme des fermes et des fabriques et pour en finir avec la mauvaise herbe, il ne suffit pas de couper les fleurs, il faut mettre en l’air la racine. La racine, c’est l’accaparement du sol et des subsistances, qui force les déshérités à louer leurs bras, et permet aux gouvernements et aux possédants d’accumuler du profit. Tous les maux de la société actuelle découlent de là comme de source, et l’on ne peut parer à l’un sans aggraver l’autre. Ce qu’il faut,, c’est l’abolition complète du système capitaliste pourri, par la révolution sociale.

Les mensonges du réformisme

« On ne met pas du vin nouveau dans de vieilles outres », a dit l’Écriture.

C’est précisément ce qu’ont oublié les prétendus révolutionnaires de gauche et d’extrême-gauche. Les léninistes et les socialistes prétendent aussi réformer le capitalisme en lui enlevant sa « superstructure » impérialiste et bancaire pour la remplacer par un capitalisme d’Etat. L’exploitation du travail humain continuerait, mais les intérêts des politiciens et bureaucrates passeraient avant ceux des hommes d’affaires. En réalité, politiciens, bureaucrates et hommes d’affaires forment une seule et même clique, dont il n’y a rien à attendre de bon, soit que les politiciens s’improvisent hommes d’affaires, et réciproquement, soit que chacun reste dans sa spécialité, en partageant à l’amiable les fonctions et les profits. Exactement comme Dorgères et son état-major, Renaud-Jean et les Compère-Morel sont d’infâmes démagogues qui ne combattent l’Etat que pour mieux s’en emparer, et le capitalisme que pour mieux en partager les profits. Ils s’entendent d’ailleurs comme larrons en foire sur le dos des travailleurs de toutes catégories, et la preuve, c’est qu’ils ont formé ensemble le « Bloc Rural » qui a pour unique article de son programme la revalorisation par l’élévation des droits de douane.

Cette revalorisation, nous l’avons vu, serait fatale aux pauvres gens de toutes sortes dont les communistes et socialistes se prétendent les défenseurs, et qui n’auraient plus d’autre ressource que de crever de faim devant les greniers pleins et les caves bondées, si la revalorisation avait lieu. De tous côtés les réformistes aux abois ne présentent donc que tromperie et mensonge. Au vigneron, on parle de faire monter le prix du vin et descendre celui des pommes-de-terre. Au cultivateur, on dit exactement l’inverse. A l’ouvrier des villes et au fonctionnaire on promet une baisse générale de la vie avec augmentation des salaires et traitements. Au contribuable, un dégrèvement des impôts et l’équilibre du budget. Avec tout cela, pas mal de ses messieurs s’intitulent anti-parlementaires... et n’ont rien de plus pressé que de se porter candidat à la Chambre des Députés.

« Paysans ! à vos fourches ! » qu’ils disent, les Compère-Morel, les Dorgères et les Renaud-Jean. Le jour où les dupes se réveilleront, les fourches pourraient bien trouver d’elles-mêmes le chemin de certains derrières en mal de fauteuils ministériels. En attendant, camarades paysans, lisez les. brochures et les journaux des anarchistes. Vous verrez que seuls entre tous, ils n’ont jamais cherché à vous tromper, à profiter de vous en vous flattant ou en prétendant exercer en votre nom une dictature quelconque. Ils ne veulent ni places, ni profit. Ils vous demandent seulement d’être des hommes.

Unité ouvrière tricolore

L’Unité ouvrière peut se faire de deux manières ; soit par solidarité autour de l’avant-garde combattante, par ralliement successif des masses laborieuses et misérables aux exemples et aux initiatives partielles du prolétariat révolutionnaire ; soit par abdication de toute action directe, de toute lutte réelle, de toute autonomie de classe, en acceptant les cadres du régime politique et social actuel, et en prenant position pour la défense de la « nation » bourgeoise.

La C. G. T. et la C. G. T. U. qui représentent la minorité « organisée » du prolétariat auraient pu faire l’unité et entraîner avec elles la majorité « inorganisée » en prenant ouvertement position pour les mouvements spontanés de Brest et de Toulon, et en les élargissant jusqu’à la grève générale. Elles ont préféré lancer des appels au calme et à la dignité et faire vibrer la corde républicaine-patriotique du Front Populaire.

Or, qu’est-ce que le Front Populaire ? C’est une coalition parlementaire qui s’étend de M. Cachin, bolchéviste, à M. Archimbaud, leader de l’Alliance Démocratique, le parti de Raymond Poincaré. Cette coalition représente la version de gauche de l’Union Sacrée, dont le Front national n’est que la version de droite. Le Front Populaire est, dans son contenu politique, la reproduction exacte du gouvernement Viviani qui a déclenché la guerre de 1914, et son avènement entraînerait un redoublement des risques de guerre en Europe.

En s’intégrant à l’équipe politicienne qui dirige le Front Populaire, la C. G. T. et la C. G. T. U. prennent parti pour le drapeau tricolore, contre notre camarade Chevalier assassiné à Brest. Ils prennent parti pour M. Régnier (ministre radical-socialiste des finances et créateur des décrets-lois) contre les victimes prolétariennes des décrets-lois. Ils prennent parti pour M. Paganon (ministre radical-socialiste de l’Intérieur, chef direct des forces de police qui ont ouvert le feu sur la foule à Brest et à Toulon) contre les familles et les camarades des ouvriers tués. Ils prennent parti pour l’Etat, contre le Peuple.

L’Unité ainsi conçue signifie la capitulation de toute opposition révolutionnaire à la dictature confédérale de Jouhaux, l’homme du 4 août 1914. C’est le sauvetage du capitalisme avec l’aide des bureaucraties syndicales (plan de la C. G. T.) ; c’est l’organisation du pays en vue de la guerre, avec le concours assuré de cette même bureaucratie.

Qui gouvernera demain ?

Le ministère Laval est impopulaire. Aussi impopulaire que le fut en Allemagne le ministère Brüning (dont les « Notverordnungen » furent l’équivalent allemand des « décrets-lois »). Cela signifie que la difficulté n’est pas grande de trouver une majorité pour le renverser. Ce qui est difficile, c’est de gouverner à sa place. Le pouvoir use rapidement les partis et les hommes, en ces temps de pénitence fiscale et de crise économique et chacun hésite à s’en saisir avant d’avoir rassemblé l’appareil de contrainte politique qui lui permettra de le garder ensuite, quoiqu’il advienne.

Pour l’instant, du Front populaire et du Front national, c’est à qui ne touchera pas au ministère. Chat échaudé craint l’eau froide. Dans un camp l’on se remémore la rapide faillite du Cartel, dans l’autre le faux départ du 6 février. Quant aux radicaux rosâtres, en proie à une sorte de panique chronique depuis la fessée administrée à Herriot, ils ne savent à quel saint se vouer et font bien piteuse figure.

C’est sur eux cependant que le parti communiste, devenu le chef de toutes les gauches, compte pour assurer la succession ! Jamais la comédie politique n’a été ravalée à de plus basses turlupinades.

De l’extrême droite à l’extrême gauche personne n’a le courage de ses opinions. Plus exactement : personne n’a plus d’opinion. Il n’existe ni plans, ni programmes : rien que des trucs publicitaires et des combines de couloirs.

Le Front Populaire n’est en somme qu’une deuxième édition du Bloc des gauches, agitant une démagogie nationale-jacobine. Les travailleurs en attendent du travail, du pain et des libertés. Il est capable de leur donner n’importe quoi d’autre pour se maintenir au pouvoir, depuis des discours et des insignes jusqu’à du plomb et des coups de crosse, en passant même par un « fascisme de gauche » et la guerre avec l’Allemagne. Quant à du travail, du pain et des libertés, il faudra repasser. La plus belle garce du monde ne peut donner que ce qu’elle a.

Les droitiers soi-disant Fascistes n’ont actuellement ni le courage ni la force d’engager une partie décisive. Ils n’ont de révolutionnaire que le nom. Leur ignorance du mouvement ouvrier, leur sénilité rageuse et radoteuse de margoulins et de vieilles culottes de peau, montre bien qu’ils ne sont en réalité que de vieux réactionnaires regonflés, le parti des « honnêtes gens » bien pensants.

Un vrai fascisme national-socialiste, s’appuyant sur le dégoût de la politique traditionnelle, le mécontentement profond des masses populaires et le désir d’en finir avec certaines castes de profiteurs désignés comme boucs émissaires du régime, ce fascisme-là n’existe encore qu’en germe. Le passage au pouvoir du Front populaire lui donnerait toutefois d’énormes possibilités de développement en recrutant à la fois à droite et à gauche tous les éléments déçus par ses devanciers. A notre avis, le seul antidote à une pareille mixture, qui déjà se prépare sous forme de combinaisons personnelles. c’est le développement suffisamment rapide d’un mouvement antiparlementaire et fédéraliste des ouvriers et des paysans dans le sens révolutionnaire et libertaire. C’est aussi la seule issue réelle à la crise et à tous les maux du régime.

Faire payer les Riches ?

Belle formule électorale pour un gouvernement de Front Populaire ! — Belle formule, oui, mais rien de plus, car son application né change rien au système actuel. Pour que paient les profiteurs, il faut qu’ils fassent des profits. Pour qu’il y ait des riches, il faut que les pauvres soient exploités. Tout système fiscal basé sur la conscription des grosses fortunes repose donc, en dernière analyse, sur l’exploitation capitaliste des pauvres.

Le Roi-Soleil ou les Empereurs romains ne l’ignoraient pas, eux qui laissaient les « traitants », les « fermiers généraux » et les « proconsuls » se gonfler d’or aux dépens de leurs peuples, en attendant le moment de presser ces « éponges », et de faire tomber une part de cet or dans le trésor royal.

Mussolini qui confisque les excédents des profiteurs, et Huey Long, qui propose de limiter les fortunes au chiffre de cinq millions de dollars, savent très bien que pour pouvoir « prendre l’argent où il est », il faut d’abord donner aux capitalistes les moyens de l’amasser (plus exactement : de le voler au prolétariat). Et c’est ce qu’ils font.

En fait, tout gouvernement, même se réclamant du socialisme, est forcé de tenir compte des intérêts des riches, de leur puissance, de leur bon vouloir. Il se fait le gardien des grosses fortunes, même s’il en exige une partie pour la peine ; il se fait le complice de l’exploitation tout en percevant sa dîme sur les profits, à la manière des gangsters américains.

Aussi ne s’agit-il pas de changer de gouvernement, mais d’en finir avec un système social qui exige un gouvernement pour se maintenir, étant fondé sur l’oppression et sur le brigandage. Le jour où il n’y aura plus d’Etat pour assurer aux accapareurs de la richesse sociale la possession de leurs biens injustement acquis, il n’y aura plus ni riches ni pauvres. Et réciproquement, s’il n’y a plus ni pauvres ni riches, aucun besoin ne subsistera d’établir entre les uns et les autres une police défendant la propriété ou des privilèges de classe.

Egale liberté pour tous, égale contribution de travail au service de la communauté. De chacun selon ses moyens et facultés, à chacun le nécessaire pour jouir de la vie. Voilà la seule solution !

« Neurasthénie du bâton »

Dans un discours à la Jeunesse Hitlérienne, prononcé à Nuremberg devant cinquante mille jeunes gens des deux sexes, le Führer allemand a déclaré que l’éducation nationale avait pour but l’endurcissement des jeunes. Il ne s’agit pas d’amollir les corps en ornant les esprits : « II s’agit de savoir combien de kilomètres on peut faire, combien de coups on peut recevoir. »

Etre dur à soi-même et dur aux autres, prêt à marcher jusqu’à la mort, ou à crever sous la schlague sans desserrer les dents, voilà donc l’idéal nazi de l’enfance et de la jeunesse (qu’elle soit masculine ou féminine). Cet idéal est celui de l’ancienne Sparte, et si barbare qu’il puisse être, reconnaissons qu’il est capable d’enthousiasmer toute une génération. Dans l’antique Lacédémone, il se trouvait chaque année des adolescents, garçons et filles, pour se soumettre volontairement à l’épreuve patriotique du fouet sur l’autel de Diane, dans le seul but de démontrer leur force d’âme. Cette épreuve continuait jusqu’à un signe du patient, et bien souvent celui-ci laissait la torture se poursuivre jusqu’à son dernier souffle, au milieu de l’admiration générale (et probablement aussi d’une certaine exaltation érotique).

Il va de soi qu’un long entraînement est nécessaire pour atteindre de pareilles performances. Aussi les châtiments corporels à l’école et dans la famille, une brutalité impitoyable dans les rapports des enfants entre eux sont maintenant partie intégrante de l’éducation au « Troisième Reich ». Sadisme dans les rapports avec les inférieurs, les méprisés, les « hilotes » ; masochisme et sacrification de soi-même devant les supérieurs, les gradés, les maîtres de l’Etat : telle est la tendance psychologique du fascisme et de tous ses succédanés (y compris la dictature du prolétariat).

A nous de prouver que l’on peut, tout au contraire, être un « dur », un combatif, intraitable à toute oppression, ennemi farouche des maîtres, et se montrer tendre et secourable à tous les opprimés, fraternel envers ses égaux, généreux et loyal pour l’adversaire abattu en qui nous reconnaissons un semblable. Cela, c’est la psychologie de l’anarchisme : une transfiguration de l’homme par l’orientation nouvelle de ses passions coïncidant avec une révolution dans les rapports humains.

Disponibilités !

La presse vendue essaie de légitimer les entreprises mussoliniennes de brigandage sous prétexte que les éthiopiens sont incapables de faire fructifier les richesses « disponibles » de leur sol.

Richesses disponibles ? Oui, les fièvres, le manque d’eau, la famine, le choléra. Lorsque les 500.000 chemises noires en excédent en Italie (et dont le Duce semble vouloir se débarrasser à tout prix) auront empesté de leurs cadavres l’air, les eaux, le sol de l’Ethiopie et que les sujets du Négus de leur côté en auront fait autant (l’aviation « civilisée » ayant détruit les villages, les oasis, les récoltes et le bétail, selon l’exemple français de Taza et du Tafilalet)...

Richesses disponibles ? Oui, lorsque les fontaines auront été empoisonnées, les montagnes déboisées, la terre arable emportée par les pluies, les fleuves changés en torrents, les ponts coupés, voies détruites, le pays transformé en cimetière. ...Après tout, n’est-ce pas ce que souhaite le capitalisme ? Chacun sait qu’il se détruit chaque année, rien qu’aux Etats-Unis, dix fois plus de plantes de coton que n’en produira jamais l’Abyssinie. Et d’autre part, si l’on mure les puits de pétrole, au Texas, à quoi bon en percer d’autre en Afrique ? Ne vaut-il pas mieux les laisser... en disponibilité. Il est vrai que gaspiller un tiers des richesses du monde, et utiliser le deuxième tiers à la destruction du troisième, c’est toute la logique du système. Mussolini a tort de se plaindre de ce que ses confrères en impérialisme ne veulent lui concéder que des déserts. Un désert, c’est du travail tout fait. Et puis, qu’y a-t-il de plus « disponible » qu’un désert ?

4 : Le Front Populaire mène à tout
Terre Libre - N°29
Février 1937

5 : Front populaire... Corporatisme - Sanzy
Terre Libre - N°31
Mai 1937

6 : De la lutte révolutionnaire à l’Union sacrée antifasciste – Attruia
Terre Libre N°45 – 28 Janvier 1938 et Terre Libre N°46 – 11 Février 1938

Depuis que le régime capitaliste est entré dans la crise qui l’étreint depuis 1929, il apparaît de plus en plus aux yeux de tous que, pour en sortir, il n’y a que deux façons : la guerre pour la bourgeoisie, la révolution pour le prolétariat.

Malheureusement. à l’encontre de ce que d’aucuns pouvaient espérer, le prolétariat, trompé par ses « dirigeants », loin de prendre le chemin de la révolution, est en train de prendre, au contraire, celui qui mène à la guerre.

En effet, depuis quelque temps, il n’est plus question, dans les milieux ouvriers, que de la lutte antifasciste. Or, quand on sait que le fascisme est déterminé par l’évolution même du régime capitaliste, on se rend compte que la lutte antifasciste n’est que le prétexte qui permet à la bourgeoisie républicaine et démocratique de sauver son régime agonisant et de préparer, avec le concours des partis et organisations qui se réclament de la classe ouvrière, la guerre antifasciste.

Mais, penseront certains, il y a tout de même encore les anarchistes qui, eux, ne marchent pas. Eh bien, qu’ils se détrompent car, en dehors de l’union sacrée antifasciste acceptée et défendue en Espagne par les dirigeants anarchistes, il existe désormais en France une organisation, la SIA, « qui porte en elle tous les espoirs... » Et le premier meeting qu’elle vient d’organiser nous en fournit la preuve : plus de 10.000 personnes y assistèrent. Affluence qui, pour ainsi dire, ne s’était jamais vue dans un meeting organisé par des anarchistes.

Mais il faut qu’on sache que « la SIA est au-dessus des tendances » et cela explique tout. D’autant plus que la SIA ne se propose pas d’organiser la révolution, mais simplement d’apporter une aide efficace en faveur de l’Espagne antifasciste. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner si elle obtient tant de succès : quand on abandonne la lutte révolutionnaire contre l’Etat capitaliste, le succès ne peut manquer de vous sourire...

Mais, dira-t-on, aucun révolutionnaire ne saurait se prononcer contre la solidarité envers l’Espagne antifasciste : et alors ? Eh bien, rappelons à ceux qui semblent l’oublier complètement que, pour un révolutionnaire, et surtout un anarchiste, il ne s’agit pas de lutter pour la défense de la démocratie bourgeoise contre le fascisme, mais contre l’État capitaliste, que celui-ci soit démocratique ou fasciste. C’est en partant de ce point de vue que nous refusons de marcher dans la guerre antifasciste que les États démocratiques préparent contre les États fascistes. Car il nous semble que, même affublé de l’étiquette démocratique, la bourgeoisie n’en demeure pas moins l’ennemi de classe du prolétariat qu’elle exploite et affame avec son État « démocratique » aussi bien que peuvent le faire les bourgeoisies des pays fascistes. Et même, pour être exacts, nous devons dire qu’elle le fait plus librement puisque, comme on sait, dans les pays fascistes, l’État a un droit de contrôle sur l’économie de la nation qu’il n’a pas en régime démocratique. Ceci dit, l’on comprendra que nous refusions de nous laisser entraîner comme un vil troupeau à la boucherie impérialiste que notre ennemi de classe prépare de plus en plus fébrilement avec le concours des « dirigeants défenseurs » de la classe ouvrière...

Au moment où l’on prépare l’opinion à l’acceptation de la guerre antifasciste, les révolutionnaires ne devraient pas se lasser de rappeler qu’aussitôt celle-ci déclenchée, les « libertés démocratiques » dont nous jouissons seront abolies et qu’ainsi, partant pour défendre la démocratie, le prolétariat combattrait sous l’égide de l’État non plus démocratique, mais... dictatorial, c’est-à-dire fasciste... Ce qui démontre que la guerre antifasciste n’est qu’une TROMPERIE à laquelle seuls les naïfs peuvent se laisser prendre. Malheureusement, nous aurons de plus en plus mal à nous faire entendre, car même l’Union Anarchiste a, sur cette grave question, une position contradictoire : d’un côté, elle affirme : « Pas de défense nationale en régime capitaliste », et de l’autre, elle crie : « Aide à l’Espagne antifasciste ! » On oublie simplement de nous dire, et pour cause, que la guerre antifasciste d’Espagne est dirigée par l’État capitaliste resté DEBOUT et que les prolétaires sont envoyés à la mort pour le défendre. Bien entendu, ceux qui refusent de se faire tuer pour une cause qui n’est pas la leur : on les fusille ; et les militants qui ont le malheur de ne pas trouver ça très bien, eh bien, on les fourre en prison. Quant à ceux qui osent parler de transformation sociale, on les assassine en douce. Tout simplement.

Il faut qu’on sache que, dans cette Espagne soi-disant « antifasciste », règne la terreur contre-révolutionnaire. C’est ainsi que nous apprenons par Alerta qu’ils se comptent par centaines, « ceux qui ne peuvent plus dormir chez eux », car des gens, qui sont « nantis de papiers officiels »... « profitent des heures de la nuit pour faire le tour des domiciles de nos camarades et emmener ceux qu’ils trouvent chez eux et dont l’on n’entend plus parler ». Le plus fort, « c’est que ces pistoleros assassins s’appellent antifascistes ». Nous apprenons, en outre, que « pendant que les femmes et les enfants de ceux qui luttent et tombent dans les tranchées mendient et exercent la prostitution par besoin, les ministres et leurs satellites : les sbires de l’arrière-garde, jouissent et abusent de tout ». Il faut savoir aussi que « seulement dans les prisons de la Catalogne, il y a plus de 3.000 ouvriers détenus » et que, dans l’espace d’une semaine seulement, « 48 éléments fascistes sont sortis de la prison de Barcelone pour faire place à 60 antifascistes ». Nous ne pensons pas qu’il soit utile d’insister : ces courtes citations démontrent clairement que, pour ceux qui ont conservé leur sens de classe, il n’y a que la liberté de se faire tuer sans broncher pour la défense du Capital, qui subsiste en Espagne « antifasciste ».

Après ça, on pourra nous crier : « Cessons la critique ! » Ce n’est vraiment pas le moment de se taire ! Et nous pensons qu’il est temps de dénoncer la trahison du prolétariat par ses dirigeants, en Espagne aussi bien qu’en France. Surtout quand on voit un Sébastien Faure déclarer publiquement que « l’ennemi numéro un est le fascisme, qui veut briser la liberté ». Accréditant ainsi le prétexte qui permet, d’ores et déjà, au capitalisme français de préparer la guerre avec l’assentiment et le concours des dirigeants de la classe ouvrière. Personne n’ignore, en effet, que la prochaine guerre sera une guerre antifasciste. Autrement dit, une guerre pour la défense de la liberté que le fascisme veut « briser ». Or, de quelle liberté s’agit-il ? De celle dont le capitalisme gratifie si généreusement le prolétariat, sans aucun doute, c’est-à-dire la liberté dans l’esclavage du salariat ! Car, en régime capitaliste, il ne saurait être question d’autre liberté : seule, la liberté de mourir au service du Capital y est admise. Quant à ceux qui n’entendent pas se soumettre à cette liberté, on sait ce qu’il en advient. Et c’est pour défendre cette liberté que des « anarchistes » s’apprêtent à réaliser ici l’union sacrée que la CNT-FAI ont réalisée en Espagne en abandonnant la lutte révolutionnaire contre l’État et en participant, quand la bourgeoisie a bien voulu leur permettre, au gouvernement soi-disant républicain. Ce qui est particulièrement surprenant, c’est que l’Union Anarchiste, qui approuve et défend sans réserves l’attitude de la CNT-FAI, continue, par la plume de Lashortes, surtout, à prêcher le mot d’Ordre : « Pas de défense nationale en régime capitaliste »... C’est là une attitude que nous ne saurions admettre et que nous devons dénoncer. Il faut qu’on nous dise si, oui ou non, il y a des circonstances qui font un devoir au prolétariat de participer à une guerre antifasciste sous l’égide de l’État bourgeois ; c’est-à-dire d’abandonner la lutte contre celui-ci et de réaliser l’union sacrée antifasciste comme l’ont fait la CNT-FAI.

De tous temps, la lutte révolutionnaire a été, pour un anarchiste, une lutte contre l’État, en tant que celui- représente le moyen que se donne la classe dominante pour asservir le travail au capital ; autrement dit, pour exploiter le prolétariat. C’est dire que, tant que l’État ne sera pas détruit„ il restera pour l’anarchiste « L’ENNEMI NUMERO UN ».

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