Revue de presse antimilitariste #2 (fev.mars 2024)

Cette revue de presse s’intéresse surtout à ce qui se passe dans la Loire. Il m’a pourtant semblé important de la relayer car elles décrivent des logiques globales à l’oeuvre dans le cadre de la remilitarisation de la « société française » et des résistances à celle-ci.

[Source : NuméroZéro ]

Condamné.es à imaginer un avenir que le présent détruit. Résolu.es à défendre nos idées au milieu de l’abrutissement médiatique, nous regroupons ici quelques perles qui vous auraient échappé. Venant souvent de media mainstream qui n’ont plus que deux tristes couleurs pour peindre le monde (les gentils et les méchants), nous rajoutons quelques infos provenant de palettes autonomes, pour contribuer autant que faire se peut à la fresque antimilitariste.

« Imitation de défilés militaires, uniformes et armes factices pour les plus jeunes, cours de « préparation militaire » obligatoires pour les plus âgés : les programmes scolaires conditionnent les enfants et servent à tester la loyauté des parents.  » Cet extrait d’un article du Monde du 23 février 2024 ne parle pas de la France, mais des méchants. Les méchants, aujourd’hui, c’est le gouvernement russe qui militarise le pays et embrigade la jeunesse. Ce qui est vrai puisque c’est un Etat, autoritaire et qui plus est, en guerre. Et en France ?

Militarisation de la société

De plus en plus de jeunes et de parents s’inquiètent des dernières annonces sur le SNU, Service national universel.

Une émission de radio montrait cet hiver, les sordides alliances entre l’armée et l’éducation nationale. Parmi ces pièges, on note l’obligation dès cet été pour les élèves de seconde d’effectuer un stage en entreprise. Celles et ceux qui n’auront pas trouvé seront obligé.es de faire le SNU !

Dans l’educ pop’ on s’inquiète aussi de la mise en concurrence au niveau de l’embauche des animateurices à qui le SNU propose une rémunération plus élevée que si ils.elles choisissaient d’animer de vraies colos.

Cet hiver Wauquiez présentait les prototypes d’uniformes destinés aux élèves de 5 lycées de la Région. Les entreprises Hénitex et Kraft Cie, vers Roanne, étaient fières d’avoir été choisies pour fabriquer le tissu. Le Progrès du 22 février nous informe qu’Henitex a presque fini le travail, tout en dévoilant le nom de deux autres entreprises qui collaborent à ce beau projet d’habiller les élèves en uniforme bleu-flic. Ce sont les entreprises Lignes Directes à Décines et Ithac, « une entreprise adaptée aux valeurs humaines fortes » puisqu’elle va faire faire le boulot à des personnes en situation de handicap.

A Roanne toujours, c’est le maire qui est content puisque son projet de mettre des uniformes aussi en école primaire a enfin été accepté. Après avoir essuyé les refus des 5 premières écoles. Les écoles Crozon et Marengo seraient d’accord. Ca fera quelques commandes de plus pour Hénitex.

Le marie de Roanne tient à souligner qu’ "à chaque fois que les parents ont été sondés, ils se sont prononcés pour cette expérimentation", estimant que les plus réfractaires sont les enseignants. On pourrait débattre sur le taux de participation au sondage, mais il est clair que parmi les enseignant.es de nombreuses voix s’élèvent à la fois contre le SNU et les uniformes, les professionnel.les estimant que ces deux projets réactionnaires couteront énormément d’argent alors même que le secteur manque de moyens !

Economie de guerre

Un article du Canard Enchainé (13/03/2024) nous annonce, à la lecture de l’hebdomadaire Investir, que les titres de Airbus et Thales ont bondi de 47 % et 41 % depuis le début de la guerre en Ukraine. Citation du PDG de Thales : « Les tensions géopolitiques poussent les budgets à la hausse, nous donnant l’opportunité de croitre ». Le conseil donné au boursicoteurs ? « Seules les valeurs de la défense résistent à l’adversité ».

Comme le dit cyniquement Patrick Aufort, ingénieur général de l’armement, dans les pages de Libé (qui ne s’indigne même pas d’un cheveu) : « ce conflit est un accélérateur de l’innovation ». Ainsi, et même si on avait prévenu de pas trop laisser les jeunes devant les jeux vidéos, Lecornu bave devant les « game changer » (sic) que sont les drônes (de reconnaissance ou kamikazes). Il est même allé visiter le 29 février l’entreprise Delair, proche de Toulouse qui a déjà fourni des drônes à l’Ukraine et dont les commandes vont bondir pour garnir les réserves des armées française et ukrainienne.

Innovation toujours, Lecornu était récemment à l’X pour annoncer la création avant l’été de l’agence de l’intelligence artificielle de défense. La nouvelle agence sera implantée à la fois sur le campus essonnien de l’Ecole polytechnique et à Bruz, en Bretagne, où l’écosystème d’entreprises et de laboratoires spécialisés dans le cyber est très développé et où la direction générale de l’armement dispose d’un centre technique. Le futur directeur de l’Amiad, Bertrand Rondepierre, un ancien de la DGA passé par… Google. C’est beau la coopération. Rappelons qu’on peut lire sur le site de mediapart une effrayante description de l’usage de l’IA comme « usine à cible » utilisée par l’armée israelienne pour déterminer les cibles à bombarder…y a plus qu’à appuyer sur un bouton.

Vous savez ce qu’est l’ordinateur quantique ? Nous non plus, et en vrai, personne n’y comprend rien, mais ce n’est pas une raison. Même si on ne sait pas où l’on va, l’important c’est d’y arriver avant les autres. C’est pourquoi la Direction Générale de l’Armement débloque 500 millions d’euros sur 10 ans pour les futurs ordinateurs quantiques de l’armée avec 5 start-up françaises (Alice&Bob, C12, Pasqal, Quandela et Quobly), le nom du projet : Proqcima.

N’en déplaise aux amateurices de jeu vidéo de guerre, tout ne se passe pas derrière un ordi. La guerre, c’est aussi du sang, des amputations, des gravats et… de la poudre. Des journalistes estiment à 30 000 le nombre d’obus qui sont tirés chaque jour en Ukraine.

« C’est la grand retour de l’artillerie » se félicite le général Jean-Michel Guilloton, qui a été désigné pour assumer la direction technique de la coaliition «  artillerie pour l’Ukraine » lancée à la mi-janvier par Lecornu, ministre français des armées afin de fournir des canons et des obus à l’armée ukrainienne via des financements provenant de la France et de la mal-nommée Facilité Européenne pour la paix.

La guerre en Ukraine est évidemment un moteur de l’accroissement des commandes en France, mais il y aussi une volonté de chaque pays européen de se doter de fonds propre.
Le journal L’Usine Nouvelle n’en finit plus de multiplier les articles, se réjouissant dans le numéro de Mars : « Les usines d’armes tournent à plein régime ». « Canons Caesar, obus de 155mm, missiles, véhicules blindés...Dopés par les commandes, les industriels de l’armement produisent plus et plus vite. »
En 2023, la DGA a passé des commandes pour un montant de 20,3 milliards d’euros afin de renforcer et moderniser l’arsenal des armées. Résultat, les 4000 entreprises de la BITD (Base industrielle et technologique de défense) se bousculent au portillon, embauchent, et augmentent leurs cadences. Safran, Dassault, Nexter, MBDA, Aubert&Duval, toutes les boites d’armement ont vu leurs commandes bondir, et régulièrement on peut lire dans la presse des titres comme :

(Les Echos) 13 mars : "Missiles, MBDA croule sous les commandes depuis la guerre en Ukraine. Le missilier européen qui annoncait en 2022 des commandes records de 9 milliards d’euros explose les scores avec des commandes 2024 de 28 milliards".

La longue histoire du nucléaire français, malgré la propagande des dirigeants, prouve qu’il n’y a pas de distinction entre « l’atome civil » et « l’atome militaire ». Pour celles et ceux qui auraient des doutes, on apprend ce lundi 18 mars que le ministère des Armées a annoncé une « collaboration » avec EDF afin d’utiliser la puissance des deux réacteurs nucléaires de la centrale de Civaux pour produire avec le CEA du tritium, « un gaz rare indispensable aux armes de la dissuasion ».

L’industrie française de la guerre étant très couteuse en investissement, elle a besoin de liquidités. Pour cela, elle exporte ses sympathiques joujous partout dans le monde, éparpillant de même mort, destruction et misère dans plein de pays. En 2024, cocorico, la France est devenue le deuxième pays exportateur d’armes au monde.

Une autre façon d’obtenir de l’argent pour l’industrie c’est d’utiliser celui des habitants ! On sait que la Loi de Programmation Militaire va nous coûter (minimum) 413 milliards d’euros, mais ce n’est pas tout.

Le Sénat a adopté le 5 mars 2024 la proposition de loi prévoyant d’utiliser les sous du livret A pour financer l’industrie de l’armement. Retoquée par deux fois cet hiver, il se pourrait que cette loi passe prochainement, faisant de nos économies un des moteurs de la production de bombes, missiles, drônes et autres joyeusetés. L’Observatoire des armements écrivait début mars une lettre ouverte à Bruno Lemaire à ce sujet.

Histoire de devancer la promulgation de cette loi, et toujours pour avoir plus de fond de roulement, le cluster Eden, réseau français regroupant notamment des entreprises travaillant dans le domaine de la sécurité et de la défense, souhaite lancer cet été une plateforme d’investissements (Market Place) pour aider les PME et ETI du secteur à se financer. Cette plateforme, qui sera présentée le 14 mai à Strasbourg, servira à ouvrir les capitaux aux boursicoteurs en herbe.

Pour dénoncer le réarmement tous azymuts,des militant.es anti-armement et en soutien à la Palestine se sont rassemblé.es le 11 mars dernier devant la CCI de Lyon, pointant du doigt le cluster Eden, rassemblement d’industriels au sympathique slogan « chasser en meute, innover ensemble », qui s’unissent pour exporter des armes (donc aussi vers Israel). La guerre se fabrique près de chez nous !

Maigre consolation, Verney Carron est punie de sortie, elle qui avait annoncé un peu trop tôt un contrat record de 36 millions d’euros pour fournir des fusils d’assaut à l’Ukraine s’est fait taper sur les doigts par la DGA. La Direction générale de l’armement n’a visiblement pas apprécié que la petite entreprise stéphanoise fanfaronne dans les journaux alors qu’aucun accord n’était réellement passé.

Par contre, dans la Loire, on avait déjà parlé du Décathlon de la flicaille. Rivolier, qui fournit pour plus d’un million d’euros de vêtements à la police municipale de Sainté, a aussi décroché un contrat pour fournir des jumelles à la police nationale et à la gendarmerie (8 millions d’euros). On rappelle que cette entreprise de Saint Just Saint Rambert est spécialisée dans la revente d’armes et équipements pour « amateurs de petits et gros gibiers ».

Loire Magazine, ce mois-ci, a choisi de nous parler du BNE, le banc national d’epreuves, situé zone de Molina à Saint-Étienne, est le seul habilité en France à réaliser le contrôle des armes mises en vente en France. Les 38 salarié.es de la CCI y testent aussi les gilets pare-balles. Etourdissant !

A priori, seuls les robots arriveront au bout de cet article sans avoir la nausée, donc il n’y a pas vraiment besoin de faire une conclusion subtile ou poétique.
Que ça soit la polarisation des médias (normalement on dit « propagande »), l’embrigadement de la jeunesse, les recherches et developpements de nouvelles technologies mortifères, les sommes extraordinaire allouées à la fabrication de missiles et bombes, le regain du nucléaire, le cynisme des industriels qui cherchent à remplir leurs carnets de commandes, il y a de quoi faire dans le domaine de la lutte antimilitariste.

On commence par quoi ?

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